La Dernière abeille
Vents, pluie, éclairs faisaient rage de telle sorte
Qu’on n’avait jamais vu de tempête aussi forte.
Sous l’épaisseur des bois par la bise ployés,
Dans les nids, les petits oiseaux mouraient noyés,
Et l’ouragan broyait toutes les créatures
Qui n’ont point pour abri de solides toitures :
L’abeille dans la fleur brisée, et le grillon
Transi sous le léger brin d’herbe du sillon.
Or, Maria, qu’on nomme autrement Myrième,
Vit, ce soir, un point d’or frôler la vitre blême,
Et c’était une abeille, hélas ! près de mourir,
Qui heurtait, espérant que l’on viendrait ouvrir.
La Mère du Sauveur entr’ouvrit la fenêtre.
Elle prit dans ses doigts le pauvre petit être,
Reconnut que c’était la reine d’un essaim,
L’essuya d’un baiser et la mit dans son sein
Pour qu’elle y réchauffât ses deux ailes vermeilles.
Sans cela, les étés n’auraient plus eu d’abeilles.
p.44-45
Le Lion
Comme elle était chrétienne et n’avait pas voulu,
Pour de vains dieux d’argile ou de bois vermoulu,
Allumer de l’encens ni célébrer des fêtes,
Le préteur ordonna de la livrer aux bêtes ;
Et comme elle était jeune et vierge, et rougissait
Quand l’œil du juge impur sur elle se fixait,
Une clause formelle en l’édit contenue
Précisa qu’au supplice on la livrerait nue.
Nue, et le sein voilé de ses chastes cheveux,
Elle entra dans le cirque.
En quatre bonds nerveux
Un lion famélique et rugissant de joie
Jaillit de la carcère et vint flairer la proie.
Le peuple regardait, étrangement jaloux,
Palpiter ce corps blanc près de ce muffle roux,
Et montrait, allumé d’une affreuse luxure,
Des rictus de baiser, peut-être de morsure.
Elle, chaste, tirait ses cheveux sur son sein.
Cependant le lion, instinctif assassin,
Entre-bâillait déjà sa gueule carnassière.
« Lion ! » dit la chrétienne.
Alors, dans la poussière
On le vit se coucher, doux et silencieux ;
Et comme elle était nue, il ferma les deux yeux.
p.46-47
Un extrait de l’émission « Heures de culture française » diffusée le 10 février 1959 sur France III Nationale. Intervenant : Gabriel Timmrory.