Quand on perd quelqu'un de proche, on voit la vie différemment, chaque jour, au gré du temps qui passe, le deuil est une épreuve, une étape par lequel chacun réagit en suivant son coeur, l'amour des siens est primordial, tout semble alors paralysé, les blessures longues à cicatriser si elles le seront, un jour ...
Dans cette nouvelle de
Frédéric Brusson, tout est à l'épuration des séquences, la narration baigne dans un climat tout en pudeur, tout en délicatesse pour décrire les tourments de personnes en quête d'un second souffle, d'une nouvelle raison de rebondir et de trouver un sens nouveau à la vie, pas de pathos, l'importance des silences respectées, de l'espace.
A chaque jour ses regrets avec les souvenirs de la perte, ces réminiscences, les traces laissées sont autant de témoignages que le vide se fait encore plus sentir, devant la douleur incommensurable, il est des forces mentales à puiser dans ses réserves, trouver un refuge dans lequel trouver sa place, combattre la solitude amplifiée depuis, ressentir la présence de l'autre, sans dévoiler la trame de cette
histoire d'O, à ne pas confondre avec le roman érotique de
Pauline Réage, j'admire toujours la facilité de l'auteur à aborder des thèmes essentiels de l'existence, surtout quand celle-ci prend des tournures chaotiques, sonder les tourments psychologiques de ses personnages souvent isolés des autres, comme dans une bulle, la nature sauvage ici évoquée s'invite alors dans un ballet de vie et de mort, avec ses risques et périls, l'empêchement de s'exprimer avec des moyens du bord, les cris de désespoirs succèdent les déséquilibres intérieurs, ces esprits déchirés par le malheur venu frapper à leur porte, un jour.
Dans cette affliction désormais quotidienne, l'auteur distille un climat de torpeur envoûtante, la lente agonie de ses personnages, cette impuissance à affronter et à traverser le désert, les sentiments de l'un contrastent avec ceux de l'autre, le temps est un allié pour apaiser et panser autant que faire se peut ce poids de l'absent, il s'engage alors une lutte introspective, heurter sa conscience par des gestes rassurants et répétitifs, donner un semblant de normalité quand la nuit n'est pas synonyme de pleurs étouffés, l'isolement est parfois un échappatoire, des chapitres courts pour alterner passé et présent, l'emploi du Je, tout concourt à pénétrer au coeur de l'intimité du personnage principal en proie aux affres de l'angoisse, de l'inconnu du lendemain, de la réaction de l'autre, appréhender l'endurance de l'effort physique comme un catharsis temporaire, la mélancolie du temps qui passe, comme un peintre des mots, les tableaux se dessinent pour composer les vestiges d'une vie en miettes, il y a un moment pour vivre et revivre ...
Sensibilité de tous les instants, cette longue escapade dans les rouages psychologiques se traduit par des actes d'une folle audace, le déni initial laisse la place à une acceptation, une envie démesurée de croire, de colmater les brèches, d'éviter de sombrer définitivement, personne n'est épargnée, les séquelles sont vives, sur le fil du rasoir, entre deux précipices, pile ou face, les personnages arriveront-t-ils à renverser le cours du destin, à vaincre le chagrin immense et faire de l'exil forcé une libération nouvelle, un printemps à venir de tous les champs du possible ?
Rien n'est jamais écrit d'avance, dans les gestes et les mouvements ralentis par le processus du deuil en cours, le lâcher-prise, les remords et les larmes doivent couler, se servir de ses armes disponibles comme le courage, le travail et l'occupation tout azimuth, l'esprit est le centre névralgique qui régit tout, la mécanique du coeur est une machine complexe, les scientifiques se penchent depuis la nuit des temps pour en explorer toutes les facettes, l'auteur en propose une variation sur un sujet universel, une plume qui subliment les instincts naturels et les sentiments contrariés, la confirmation d'une belle plume après ses quatres premiers livres, le guérisseur des maux par les mots n'a pas fini de nous surprendre.
Toujours, encore, à jamais, une nouvelle fulgurante pour approcher au plus près des personnages, comme une caméra qui virevolterait en permanence tout en n'oubliant pas l'essentiel, les non-dits qui en disent long, ces silences indéchiffrables criant leur détresse, dans la douceur des vents qui murmurent dehors, dans le vacarme des vagues s'échouant sur les rivages, dans la nuit étoilée sans fin,
Une histoire d'O est le récit de personnages en dérive sur un radeau de fortune, sauront-il passer du monochrome d'une vie qui se consume à vitesse grand V pour retrouver les couleurs d'antan ?
A noter encore une fois la très belle couverture de Brian Merrant qu'on ne présente plus avec ses romans et désormais un illustrateur de talent, celle d'
Une histoire d'O fait honneur à ce qui vous attend dans cette nouvelle auto-éditée de
Frédéric Brusson.