Unnatural, tome 2 : The Hunt

Ce tome fait suite à Unnatural Volume 1: Awakening (épisodes 1 à 4) qu'il faut avoir lu avant pour comprendre l'histoire. Il comprend les épisodes 5 à 8, initialement parus en 2019 aux États-Unis, écrits, dessinés, encrés et mis en couleurs par Mirka Andolo, avec l'aide de Gianluca Papi pour les couleurs. Il existe également une version intégrale de cette bande dessinée italienne, en français : Contro Natura Omnibus. Ce tome se termine avec 13 pages d'études graphiques et les couvertures variantes réalisées par Tanino Liberatore, Jacopo Camagni, Babs Tarr, Stjepan Sejic, Joe Madureira.

Leslie Blair est emmenée à bord d'un petit camion, conduit par Saya ; elle fait le voyage à l'arrière avec Khal qui l'a sauvée de Jones. Sur le pont pour quitter la ville, Saya doit arrêter son véhicule utilitaire à un point de contrôle. Elle montre ses papiers : ils sont en règle. Elle ouvre la porte arrière pour qu'ils jettent un coup d'oeil sur la marchandise : il s'agit de pâtes cuisinées à faire réchauffer au micro-onde. Elle en offre un pot à l'un de policier et referme rapidement la porte avant qu'ils n'aperçoivent Pif, le lézard domestique de Leslie. Elle récupère son lézard à l'arrière, alors que Saya reprend la conduite. Pif s'adresse à Leslie dans sa tête lui promettant qu'ils seront bientôt unis comme mari et femme. Elle le repousse violemment. Elle se met à pleurer en repensant à Trish et Derek, morts assassinés. À la télévision, les journaux passent des interviews des parents des victimes désignant explicitement Leslie et son comportement comme ayant causé la mort de leur fille.

Nicholas Jones se réveille dans son lit avec une prostituée à ses côtés, ayant mis une perruque de cheveux argentés pour ressembler à Leslie Blair. Elle l'enlève sans l'accord de Jones qui la jette littéralement hors du lit. The Glance arrive alors qu'elle claque la porte de la chambre. Une fois Jones habillé, il s'adresse à lui en lui reprochant d'avoir laissé échapper Leslie. Il lui fait clairement comprendre qu'il doit la retrouver ainsi que ses sauveteurs et les faire taire définitivement. Leslie Blair se réveille dans un lit qui n'est pas le sien, dans une chambre qu'elle ne connaît pas avec des habits qui ne sont pas les siens. Elle prend Pif dans les bras, et sort de sa chambre dans un couloir qui aboutit dans une cuisine. Son ventre gargouillant, elle se sert dans le frigo, mais sa première bouchée est interrompue par Khal. Elle commence à vouloir montrer des velléités d'indépendance en le menaçant d'un couteau. Il retire le gant de sa main droite, prend la lame à pleine main et la brise. Il coule quelques gouttes de sang bleu. Il enjoint Leslie à se faire une petite entaille et il en coule quelques gouttes de sang également bleu. Saya arrive sur ces entrefaites.

Avec le premier tome, Mirka Andolfo débutait une histoire originale, à la fois pour ses personnages, à la fois pour sa dimension sociale. le lecteur retrouve les dessins toujours aussi plaisants à l'oeil, et les animaux anthropomorphes aux caractéristiques physiques marquées et en phase avec leur personnalité. Leslie Blair est toujours une cochonne bien en chair, et l'artiste sait la représenter avec une telle sensibilité que le lecteur voit d'abord une jeune femme avec ses émotions, ses envies, sa souffrance, plutôt qu'une sorte de métaphore pataude et vulgaire, un tour de force visuel épatant. Il en va de même pour les autres personnages. Khal pourrait n'être qu'un male dominateur à l'apparence de loup éminemment séduisante : le lecteur y voit un homme avec des capacités physiques extraordinaires, mais portant le poids d'une enfance placée sous le signe de la souffrance (pour d'autres raisons que Leslie) et pas du tout un potentiel prédateur, ce qu'il n'est d'ailleurs pas. L'apparence de Saya et Jones suscite tout de suite une forme de confiance de la part du lecteur. Autant la première, se conduit ensuite comme une personne énergique, décidée et compétente en restant attentionnée, autant le deuxième continue de se conduire comme un individu égocentré, sûr de lui et odieux. Mirka Andolfo se montre encore plus adroite sur le plan visuel, réussissant à faire exprimer une large gamme de sentiments, du plus nuancé au plus vif, grâce à des expressions de visage pouvant passer du réalisme à l'exagération manga, toujours de manière maîtrisée. le lecteur sourit en voyant Saya se montrer charmante pour mieux éviter d'éveiller la suspicion des policiers, ou quand Leslie pouffe de rire lorsque Khal raconte une de ses mésaventures avec sa fourrure. Il sent la tristesse le gagner quand il voit Leslie Blair pleurer en repensant à tout ce qu'elle a perdu durant ces derniers jours. Il grimace de dégoût quand il voit le docteur utiliser un implant crânien pour rectifier les inclinations émotionnelles d'une pauvre femme.

En tant qu'artiste complète, Mirka Andolfo sait habilement jouer des camaïeux de couleurs pour habiller ses cases, même quand elle ne représente pas les arrière-plans, à tel point que le lecteur ne ressent pas de diminution du niveau descriptif durant ces passages. En effet, l'artiste sait faire en sorte qu'il sache toujours où se déroule une séquence, sans l'oublier en cours de route, que ce soit la planque où Saya et Khal ont emmené Leslie, les souterrains de ladite planque, le bureau de réception d'un motel, ou encore un étrange village de vacances d'un parc à thème. Les environnements ne sont pas représentés avec beaucoup de détails, mais suffisamment pour être consistant. En outre, la narration visuelle s'avère enrichie par des changements de mode de représentation pour certaines scènes relevant d'une autre nature, par exemple du passé ou d'un temps mythique. Dans le premier cas, Andolfo change de palette chromatique, avec des teintes toujours déclinées en plusieurs nuances, mais dans d'autres couleurs ; dans le deuxième cas, elle abandonne les traits de contour et modifie le degré descriptif pour des images plus habitées par des forces primordiales.

Le lecteur reste toujours sous le charme de la séduction des dessins. Il remarque sans beaucoup de surprises que le niveau d'érotisme a diminué, Leslie Blair ne se retrouvant plus de manière systématique dans une relation charnelle physique ou spirituelle une fois par épisode. L'autrice avait établi cette particularité de son héroïne dans le premier tome : sa situation a évolué et la sensualité ne se manifeste plus autant. La narration visuelle de Mirka Andolfo est à la fois dense et très agréable à l'oeil, et elle réussit des images mémorables : Khal sous-entendant que Leslie est une gloutonne, l'angoisse visible de la femme rééduquée par le docteur, l'évocation de l'Albino, une créature primordiale, la première fois où l'Albino prend la maîtrise du corps de Leslie avec un déchaînement de violence, les tâches de sang sur le costume blanc de Carol, la découverte du village de Tijoux, etc.

Au fil du récit, le lecteur constate également que le thème principal a évolué. Dans le premier tome, l'autrice faisait ressortir les mécanismes sociaux qui contraignaient et imposaient une forme de comportement social à Leslie Blair, créant chez elle à la fois un sentiment d'insécurité, à la fois un conflit psychique entre les aspects de son caractère incompatibles avec les attentes implicites de la société. Dans ce deuxième tome, cette thématique est quasiment absente, sauf pour l'évocation de la jeunesse de Khal dont la vie a elle aussi été fortement impactée par les règles sociétales implicites et explicites. le récit se trouve plus conduit par l'intrigue, à savoir la fuite de Leslie Blair pour échapper à Jones et à The Glance, la découverte de nouvelles informations sur l'Albinos et sur une déesse appelée Bes, ainsi que la recherche du lieu appelé Tijoux. En fonction de ses attentes, le lecteur peut soit s'en réjouir, soit regretter que Andolfo n'ait pas persévéré dans sa première voie. de fait l'intrigue rejoint des chemins un peu plus convenus, même si la personnalité de la narration graphique et de Leslie Blair évite de tomber dans le récit de genre passant d'un cliché à un autre. Éventuellement, le lecteur peut voir dans la manifestation de l'Albinos une composante psychologique qui n'est pas forcément externe à Leslie Blair, mais l'incarnation de la tentation de céder à la violence. Vu sous cet angle, le récit acquiert alors également une dimension psychologique quant à la manière dont l'héroïne s'adapte aux circonstances comme le danger pesant sur sa vie, l'usage de la violence par ses ennemis, la perte de repère et de contrôle sur sa vie.

Dans ce deuxième tiers du récit, le lecteur retrouve tout ce qui fait le charme de la narration visuelle de Mirka Andolfo, et ceci alors même que le dosage en érotisme diminue. Il reprend également pied dans l'intrigue qui augmente la composante action, en diminuant la fibre sociologique. le lecteur ressent toujours une forte empathie pour Leslie Blair dont le comportement oscille entre celui de victime dépassée par les événements, emportée dans un tourbillon de violence, et celui de menace pour ceux qui l'ont sauvée quand elle se laisse emporter par le recours à la violence, prôné par une entité mythologique appelée l'Albinos. Mirka Andolfo sait introduire quelques touches d'humour qui se marient bien avec le charme de ses pages, pour aboutir à un récit divertissant, facile à lire, avec un personnage principal très attachant et disposant de plus de ressources que ne le laissent supposer les apparences, faisant que le lecteur sait qu'il reviendra pour découvrir la fin du récit dans le dernier tome, même s'il peut regretter l'angle systémique. Il peut aussi considérer que Leslie Blair refuse de passer d'un rôle prédéfini (future épouse et mère) à un autre (future réincarnation d'une déesse).