Et « Les ténèbres se taisent dans l'espace... Shijima » – spectacle 1988.
Gamin il voulait vivre autrement, ailleurs.
Il a pris son temps, tranquillement, intelligemment.
Il a laissé les choses se créer, en lui. Et il a pris la route avec sa troupe.
Il s'est pris « des rafales de différences » pour embrasser le corps universel, un corps en poudre d'extraordinaire, l'uniforme en toile de chair.
Gamin, il rêvait d'arrêter le temps.
Et il a réussi à le suspendre merveilleusement dans un théâtre.
Dans ce temple du silence, il mène un choeur qui se balance dans le ventre de la ville, loin des bruits de la bouche du monde. Il partage son adresse , il propose ses questions.
Il sacre l'obscurité.
Le geste,c'est son empreinte. Les premiers psaumes de la vie.
L'oeuf, le cercle, contre le sol, face contre terre, l'âme dans l'air, en percutant les images . Il empreinte le sol pour entendre ses ondes et recevoir l'écriture.
Ils respirent. C'est l'une des bases de sa chorégraphie.
On ne se regarde pas danser, on se sent mouvementé.
L'onde est un choc, l'homme, l'hiro, est là, en scène, pour nous le rappeler. .
Au rythme d'un souffle, chacun synchronise l'ensemble.
Egalité des gestes au dedans de toutes nos particularités, au devant de l'immensité.
Le mouvement par soi s'efface, le mouvement selon l'autre se met en place.
L'intensité naît de l'intérieur, elle n'est pas l'objet de l'extérieur.
Le mouvement passif n'est pas soumission, il est l'acte libéré de la pensée.
L'intensité créée au coeur du danseur.
Par la maîtrise du fil de cette conscience, il se relie, et il peut s'affranchir, par le seul pouvoir de son imagination et se mettre « hors du lieu » , se placer « hors je ».
C'est là que les gestes trouvent la vérité, au delà de la technique.
Aucun exploit, seulement l'expérience totale de l'instant pour atteindre cette dimension où « je- danse » fais totalement corps avec ce que « je vis ».
Et la vision se créée.
Là nous possédons le monde, en nous.
Il faut lâcher prise totalement, basculer, accepter la gravité, le passé, ne plus rien posséder de soi pour être en capacité de posséder le monde, ce monde que nous savons en nous mais que nous ignorons.
L'étrange silence de cette commune mémoire.
C'est dans ce passage, cette traversée, que selon Amagatsu s'inscrit toute l'histoire de l'art, cette « accumulation d'oeuvres engendrées dans la souffrance, nées de cet affrontement avec la virtualité ».
Passer son corps à travers les mondes est une épreuve qui requiert une très belle discipline.
Car on doit éviter de rester entre deux mondes. C'est le piège du miroir, le reflet de l'ombre. L'homme n'a pas à errer dans l'obscurité des mondes.
Mais ce transport ne peut se réaliser qu'au travers du corps. L'homme est de chair, d'eau, de terre, de formes, de matières. Notre corps est notre matière première, par lui, en lui, nous transmettons toutes les ondes. L'homme est dépassé par ce qu'il crée. Tout signifie, a un sens. Nos sens nous signifient. L'oeil, le doigt, la bouche, le souffle tout entre dans notre langage.
L'acte de voir est possible si nous en trouvons le sens.
L'homme, ce solitaire, n'est pas seul.
C'est cela que Amagatsu met en scène.
C'est par le vrai qu'il peut admettre la révélation de la beauté.
« on trace un arc de cercle magnifique et on élève un pont imaginaire »
« La danse doit inviter à vénérer quelque chose de plus grand, quelque chose que l'homme ne peut pas voir ».
Un pont, un lieu, là où tous reçoivent et émettent « dans l'entrelacs d'un espace temps qui est la danse ».
Gamin, il se demandait ce qu'il allait bien pouvoir faire,
pouvoir... bien faire,
comme bon lui semblait, il a vraiment très « bienfait » de s'interroger.
C'est affaire de mémoire et de racine tout cela. La profondeur est un mouvement. C'est comme cela qu' Amagatsu danse, en mémoire.
Astrid Shriqui Garain
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" Elle est retrouvée.
Quoi? L'Eternité.
C'est la mer allée
Avec le Soleil. "
Arthur Rimbaud, l'Eternité, mai 1872.
[...], mais le fait de "penser" avec sa tête entrave les mouvements du corps et leur fait perdre ce qu'ils ont de naturel. C'est pourquoi il faut faire en sorte de rester le plus inconscient possible sur scène.
Sankai Juku performance à Paris