Sortir du cadre

Amoureuse de la danse depuis l'enfance et "L'âge heureux", feuilleton en noir et blanc ayant pour cadre l'école de Danse de l'Opéra de Paris, je découvre les livres de souvenirs des danseuses étoiles de cette vénérable maison.Ces ouvrages sont d'un intérêt variable, et d'une qualité inégale, au contraire du talent de ces belles danseuses. C'est pourquoi je recommande chaudement la lecture de celui-ci, qui tranche sur les autres, car il s'agit d'une authentique autobiographie. Marie Agnès Gillot y brise en effet les cadres et les carcans de toute nature qu'on lui a infligés, et se présente comme une personne passionnée, atypique, amoureuse de toutes les danses, amoureuse de la vie. Outre le recit d'un parcours de vie, ce livre touchant est aussi un bel objet très richement illustré.

Dans ce gros volume très documenté (mais à la couverture franchement pas élégante), la danseuse retrace son parcours à l'aide de photos, croquis, textes qui jalonnent sa vie de femme et d'artiste. de ses premiers pas de danse à la maison où elle défonce malencontreusement une télévision aux adieux sur la scène de l'Opéra de Paris (retraite forcée à 42 ans), en passant par les cours, concours et auditions, nous entrons dans le monde ô combien difficile d'une future danseuse étoile.
Enfant très dynamique qui montre un talent précoce pour la danse, grande soeur d'un garçon lourdement handicapé, Marie-Agnès a 9 ans lorsqu'elle présente le concours d'entrée pour l'école de danse de Nanterre, pépinière pour futurs jeunes talents de l'Opéra. Elle enchaîne les années de formation à Nanterre et apprend lors de son cursus qu'elle est atteinte d'une double scoliose, qu'elle cache 21h/jour dans un corset qui la fait souffrir et la blesse...
On découvre alors que cette jeune fille a une détermination, une force de caractère et une volonté incroyables pour accepter tout ce qu'elle doit endurer lors de sa longue formation.
Cet ouvrage se lit comme un journal qui déroule chronologiquement (avec quelques cabrioles temporelles) son quotidien de danseuse, sa vie d'artiste avec ses peines, ses drames, ses rencontres majeures qui la marquent définitivement. “Petits pères” et “petites mères” l'accompagnent tout au long de sa carrière et deviennent tour à tour des parents de substitution, elle qui vit éloignée de sa famille.
C'est passionnant, riche d'enseignement et un bel exemple pour les futures danseuses. le parcours de l'artiste ne s'arrêtant pas lorsque les lumières de l'Opéra de Paris glissent sur les nouvelles Étoiles, Marie-Agnès Gillot explique aussi qu'elle a su accepter quantités de propositions étonnantes et éloignées de son univers (TV, mode...)
J'aimais beaucoup Marie Agnès Gillot mais après avoir dévoré ce livre et découvert de nombreuses anecdotes la concernant, j'ose dire que je l'adore !

La plus singulière des Etoiles du Ballet National de l'Opéra de Paris ne pouvait pas nous offrir une autobiographie lisse et politiquement correcte. Avec « Sortir du cadre «, Marie-Agnès Gillot expose sa vie en trois actes et de nombreux chapitres, sur le ton du journal intime accompagné de photos tirées aussi bien de son album de famille que de son parcours de danseuse hors normes.
Les blessures de l'enfance, la colonne vertébrale improbable, l'amour des chiens, les rivalités à l'Ecole de danse, l'ambition et le travail acharné sont au commencement de tout. Puis vient le temps de la vie dans le corps de ballet de l'Opéra de Paris. La place de Patrick Dupond qu'elle avait choisi comme « petit père « pendant ses classes et qui devenu directeur de la danse intervient personnellement pour que Marie-Agnès soit admise sur dispense à l'âge de 15 ans dans la Compagnie. Son admiration pour Monique Loudières, Marie-Claude Pietragalla et Sylvie Guillem. Son amitié éternelle avec Isabelle Ciavarolla et la lente déliquescence de sa complicité avec Aurélie Dupont. La mort de Noureev vécue de l'intérieur. Son mariage éphémère avec Stéphane Bullion. Bref, certains des secrets les mieux gardés de l'Opéra de Paris sont ici relatés sans fard, sans filtre.
le troisième acte est consacré aux années qui suivent sa nomination d'Etoile. Les rencontres avec Pina Bausch, Jiri Kylian ou Wayne Mc Gregor sont passionnantes. L'évocation de l'intermède Benjamin Millepied est, comme toujours chez Gillot, cash. Mais ce n'est pas tout. On perçoit les dangers de la notoriété, le meilleur comme le pire qui découleront d'une éphémère amitié avec Sophie Calle. Il est aussi question de Paul, fils adoré, prénommé ainsi en hommage au non moins adoré et éternellement regretté grand père de Marie-Agnès Gillot. Pas la moindre évocation de père pour cet enfant qui sera destiné à aller vivre dans la maison de feu son grand père à Houlgate dès que l'Etoile prendra sa retraite, un épisode décrit comme « sa mise à mort de l'Opéra de Paris «, tant elle avait espéré une prolongation exceptionnelle.
Un récit bouleversant, qui peut mettre le lecteur parfois mal à l'aise.