Préface de Serge Pey
LES MAINS COUPÉES
DE CHE GUEVARA
Extrait 2/2
Vaincu, mais vainqueur. À l'infini. L'homme continue
à corriger la réalité qui marche sur la route comme un
serpent.
L'homme pense que lire est la condition de la liberté de
tous les hommes.
Il manque un accent sur la lettre.
Il manque un trait aigu au-dessus de la vie. Peut-être
un accent circonflexe comme pour le rêve. Ainsi écrit-on
Rêvolution avec un nouvel accent.
Peu de temps après, on oblige le soldat à exécuter
l'homme. Le soldat hésite. L'homme lui dit de tirer en le
regardant dans les yeux. Une rafale de pistolet mitrailleur
déchire la page de papier. Une fleur tombe. La lumière
écarte ses doigts. La lumière se met à rire.
En pensant à la phrase du tableau, le soldat pense que
l'homme lui a dit avant de mourir : « Soyez serein et visez
bien ! Vous n'allez tuer qu'un homme ! »
p.8
Préface de Serge Pey
LES MAINS COUPÉES
DE CHE GUEVARA
Extrait 1/2
Le soleil est noir. Un homme marche au-delà du peu.
Il porte un béret. Sur son front : une étoile arrachée à la
toupie de la nuit. Il se retourne. Il regarde. Il halète. Les
moustiques mangent ses cheveux.
Une ombre trébuche ou une lumière. L'homme est
tombé. Il hisse une porte sur son dos. Une pluie de balles
ricochent sur le silence qui se cache. Il a un soulier défait.
Son pantalon est déchiré. Il porte la montagne sur son dos.
L'air se roule dans les papillons.
C'est le 8 octobre. Le Rio Guapay boit le sang qui coule
de la jambe de l'homme. Les gorges ont soif. Des soldats
maintenant entourent l'homme. On le traîne jusqu'au vil-
lage. On lui attache les poignets dans une petite école. Il
est assis sur le sol. Il a mangé des pierres. Il a mangé des
fleurs. Les arbres marchent à quatre pattes.
Devant lui un tableau noir et une craie noire. Une seule
phrase écrite. Quelques mots se détachent dans la pous-
sière. La lumière a changé la craie de sa couleur. Mainte-
nant elle est blanche, comme du sang blanc. La maîtresse
entre. Il la salue. Elle lui répond. L'homme parle :
« Le falta el acento ». Il manque un accent, dit-il en sou-
riant. La jeune fille fait un trait avec la craie. Elle ajoute un
accent aigu sur le E : « Yoséleer ». Je sais lire. L'homme est
heureux....
p.7-8
- 28- LES POÈTES ET LE CHE
« CHE comandante » (Nicolas Guillén, 1967)
Tu te trouves partout. Chez l'Indien
Fait de rêve et de cuivre. Et chez le Noir
mêlé à l'écumante multitude, et chez l'homme du pétrole
et des nitrates,
et dans la terrible détresse
des bananeraies, et dans la vaste pampa
des fourrures
et dans le sucre, et dans le sel, et dans les caféiers,
toi, mobile statue de ton sang comme ils t'ont renversé,
vivant, tel qu'ils ne voulaient pas, Che Commandant,
ami
Cuba te connaît par cœur […]
ferme, la voix qui ordonne sans commander,
qui commande en copine,
qui ordonne en amie,
tendre et dure, le chef camarade,
le chef camarade, nous te voyons chaque jour ministre,
chaque jour soldat, chaque jour,
personne simple et difficile,
chaque jour. […]
Salut Guevara ! […]
Nous voulons mourir pour vivre, comme tu es mort,
pour vivre comme tu vis,
Che commandant, ami ».
Nicolas Guillén, est considéré comme le « poète
national ». Il a lu son poème devant « CHE comandante »
presque un million de personnes, le 18 octobre 1967, Place de la Révolution, à La Havane, lors de la veillée populaire à la mémoire du Che.
Salut Guevara !
- 28- LES POÈTES ET LE CHE
« CHE 1997 » (Mario Benedetti, 1997)
Ils l'ont couvert d'affiches, de pancartes,
de voix sur les murs
d'insultes rétroactives
d'honneurs à contretemps
Ils l'ont transformé en objet de consommation
en mémoire virtuelle
en hier sans retour
en rage embaumée
ils ont décidé de l'utiliser comme épilogue
comme l'ultime voile de l'innocence vaine
comme l'ancien archétype de saint ou de satan
Et peut-être ont-ils trouvé que l'ultime façon
de se défaire de lui
ou de le laisser en rade
c'est le vider de lumière
le convertir en un héros
de marbre ou de plâtre
et ainsi immobile
ou mieux comme un mythe
ou une silhouette ou un fantôme
du passé piétiné […]
L'Uruguayen Mario Benedetti, poète résistant, est salué
comme un géant de la poésie latino-américaine. Petit,
moustachu, discret. Nous l'avons rencontré lorsque, exilé,
il travaillait à la « Casa de las Américas » à La Havane.
Nous avons traversé l'Atlantique avec lui dans un avion
soviétique I. 65. Un voyage trop court et interminable à la
fois. Le poète a toujours raison. Ne vidons pas le Che de
sa lumière.
p.239-240
En exergue de ce livre incandescent , Jean Ortiz cite trois auteurs :
. Karl Marx
Le révolutionnaire doit être capable d’entendre l’herbe
pousser.
. Victor Hugo
Une révolution est un retour du factice au réel.
. René Char
Celui qui vient au monde pour ne rien troubler
ne mérite ni égard ni patience.
p.5