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Conte philosophique surréaliste d'inspiration follement artistique.
Dans ce troisième volet du Cycle des Contrées, commencé avec Les Jardins Statuaires et suivi de Les Barbares, Jacques Abeille fait un grand honneur à la langue française et l'emploie à la perfection. C'est un véritable enchantement et j'avoue avoir relu à haute voix certaines pages rien que pour la beauté des textes et leur musicalité.
Au commencement du monde, un humble jardinier gratte la terre dans laquelle il fait pousser des courges, fruits à la peau lisse et douce mais au maintien et à la fermeté impeccables. Ces courges dressées à même le sol lui évoquent des statues, ou sans doute quelques excroissances hautement phalliques, ce qui est peu ou prou la même chose. Jacques Abeille part de cette observation rurale, paysanne et profane où la nature, la vie, l'art, la sensualité et la culture ne font plus qu'un pour sanctifier au quotidien le bonheur d'être en vie, d'aimer et de jouir de l'existence. Il salue ainsi la part de notre humanité la plus noble, celle qui semble inutile et qui est pourtant indispensable, la culture sous quelque forme que ce soit jusqu'à lui donner / redonner un sens sacré.
Au départ du premier volet, les femmes semblaient presque absentes de ce monde, puis se découvraient cloitrées dans des quartiers réservés ou prisonnières de maisons closes avant d'apparaitre comme les libératrices de la pensée et de la condition humaine.
Le narrateur, un homme lettré et humaniste, ni trop jeune, ni trop vieux, non plus puissant ni ambitieux, se retrouve en possession d'un important manuscrit - celui des Jardins Statuaires - et décide de sa traduction. Amené à voyager pour parachever ses recherches universitaires, puis enlevé par des barbares venus des steppes lors du saccage des contrées occidentales, il découvre que ceux que l'on nomme précisément barbares sont des peuples libres, instruits, organisés et nantis d'une culture ancestrale vénérable.
De retour chez lui après plusieurs années d'errance, il a l'agréable surprise de retrouver intact l'appartement qu'il louait à sa logeuse avant son départ inopiné. Il reprend non sans mal un emploi dans l'enseignement et peu à peu un statut social, mais son indépendance d'esprit fait offense.
Les grandes et lourdes meules de l'administration, de la Justice et de tout ce système aveugle et autocratique, animées par les moteurs de la jalousie, de l'étroitesse d'esprit et par l'incompétence générale vont se mettre en mouvement et se rapprocher peu à peu du Narrateur au risque de le happer.
Ce roman, et par extension cette trilogie magnifique, est un grand plaidoyer pour la liberté de penser, la jouissance, le beau, l'érotisme et l'esprit d'indépendance qui effarouchent tant les pouvoirs totalitaires, médiocres, obtus et dépourvu de l'essence même de culture.
Dans cette lutte à armes inégales, le héraut chante pour les minorités, contre la médiocrité, pour l'épanouissement et contre l'abrutissement ou l'hébétude des masses, pour la féminisation et pour le féminisme, contre le despotisme et le totalitarisme…
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Cette suite et fin de l'aventure commencée par le narrateur dans "Les barbares" nous projette dans un monde complètement opposé à ceux que nous avions pris le temps de découvrir dans les deux précédents volumes du cycle des Contrées. Tout d'abord le texte est beaucoup plus court, et surtout la scène est centrée sur une cité troublante, qui nous met mal à l'aise. Il n'y a plus de mouvement.
Quelle surprise que l'arrivée dans une société dite moderne, en plein renouveau... La barbarie est en fait ici, pas dans la société des guerriers des steppes. le narrateur se retrouve rapidement englué dans une affaire inextricable à la manière du Procès de Kafka. La conclusion en est terrible.
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Ce court roman est la suite et le « côté obscur » d' « Un homme plein de misère » . le professeur revient après son périple en compagnie du Prince déchu dans sa ville de Terrèbre qui s'est relevée après l'invasion des cavaliers . Il y retrouve ses pénates et une compagne ,Blanche,avec qui il vit une idylle sensuelle . Mais peu à peu se révèle la nature du nouveau pouvoir qui gouverne la ville : une dictature stalino-religieuse avec tous ses attributs : bureaucratie, arasement des valeurs, réécriture de l'histoire et ,in fine, procès « de Moscou » . Cet ouvrage est très sombre , mettant en lumière ce qu'est la véritable barbarie , et faisant un portrait un peu trop réaliste de nos sociétés . Cependant le thème cher à l'auteur de l'art , ici la sculpture et son lien avec le désir, vient offrir un soupçon d'espoir .Et toujours une superbe écriture.
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J'avais lu ce court roman juste après avoir lu "Les Barbares", auquel il fait directement suite.
Nous y retrouvons le narrateur des Barbares, fin lettré de la ville de Terrèbre, qui traduisit "Les Jardins Statuaires", livre mythique et témoignage unique sur les us et coutumes d'une région oubliée, avant de se faire enlever par les Cavaliers, peuple nomade qui avait investie Terrèbre.
A la fin des "Barbares", le narrateur reprenait la route de Terrèbre. Ce roman nous raconte son retour dans la ville et ce qu'il advint par la suite. Je n'avais gardé aucun souvenir précis de cette histoire, ce qui me semblait étrange vu les images fortes que m'avaient laissé les autres livres de Jacques Abeille. Je décidai donc de le relire.
Si le roman fait directement évidemment référence aux jardins Statuaires, je réalise qu'il s'intègre également dans le veilleur de Jour et Les Voyages du Fils, deux autres romans du cycle des contrées (que je n'ai pas encore lu). "Le veilleur de jour" semble être le manuscrit que Ludovic Lindien (héros des "Voyages du Fils") soumet au narrateur. Il y est aussi fait mention de Léo Barthe, auteur sulfureux qui se trouve être un pseudonyme de Jacques Abeille, sous le nom duquel il a publié les "Chroniques scandaleuses de Terrèbre".
Comme on le voit, Jacques Abeille constitue une constellation littéraire au sein de laquelle de nombreux livres se recoupent et se complètent en d'étonnantes mises en abîmes. Ambitieuse entreprise qui dégage quelque chose de fascinant et enrichit la lecture de romans déjà très réussis par eux-mêmes.
Pour en revenir à "La Barbarie", j'ai été frappé par un aspect qui m'avait échappé jusque là. le cycle des contrées est une oeuvre marquée par le sceau de l'imaginaire. Il relève directement de ce que les anglo-saxons appellent la Fantasy. Ce genre littéraire est souvent mal vu dans la francophonie, où il est assimilé à une sous-culture peuplée de clones de Tolkien. Il est souvent plus subtil qu'il en a l'air et permet à certains auteurs d'aborder des sujets politiques et sociétaux. Déjà les Jardins Statuaires, dans sa description presque ethnographique d'une communauté, comprenait des éléments de critique sociale, essentiellement sur le rôle de la femme.
Dans la Barbarie, s'il l'on peut voir la marque d'un Kafka dans la description de l'implacable machine administrative à laquelle le narrateur se retrouve confronté, j'y voit aussi une fable politique subtile. le narrateur avait quitté une Terrèbre envahie et en plein marasme. Il retrouve une ville qui se relève progressivement. Mais cela s'est fait au pris d'une forme d'anarchie législative et administrative, multipliant les règlements, jurisprudences et usages qui rendent la loi opaque et prompte à l'injustice par défaut. Quant à la culture, elle s'est repliée sur une vision ultra-orthodoxe de la connaissance, rejetant ou censurant tout ce qui sort d'une cadre pré-établi. J'oserai même parler d'une certaine définition de l'identité qu'il faut affirmer tout en niant celle de l'autre. Ainsi, les Jardins Statuaires sont renvoyés au rang de mythe, la proximité que le narrateur a progressivement établi avec les Cavaliers est jugées suspecte...
Jacques Abeille reste évasif, à tel point qu'il est possible que cette interprétation ne soit qu'un fantasme de ma part. Pourtant, j'ai l'impression que la dérive autoritaire et régressive de Terrèbre fait bien écho à notre monde.
C'est en tout cas un indice de plus de la richesse du cycle des contrées.
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« On avait sûrement calomnié Joseph K..., car, sans avoir rien fait de mal, il fut arrêté un matin. » (Kafka, le procès)


Dans "La Barbarie", le narrateur, héros des "Barbares" (Cycle des Contrées, tome 6), revient dans la ville de Terrèbre après son voyage de plusieurs années en compagnie des cavaliers. Il tente de se réacclimater dans une Terrèbre changée, ville aux apparences de civilisation qui recouvrent un abîme.

Blanche, sa logeuse, va l'accompagner et le soutenir. La relation du narrateur avec cette femme visionnaire, s'exprime en des pages sensuelles enchanteresses. « Elle était enfin sortie du coeur de la nuit, qui jusqu'alors n'avait laissé échapper de son être qu'un souffle ténu, pour couler entre mes draps jusqu'au contact de mon corps auquel le sien s'ajustait avec une bouleversante gratitude. »

Hélas, « je crois qu'on se trompe sur le sens des événements ; nous ne nous éloignons pas de la barbarie, nous y allons. »

Désaffection pour la culture générale, éradication de l'esprit critique, chemins tortueux et incompréhensibles d'une bureaucratie terne et inhumaine, et finalement abdication devant le savoir et négation de l'histoire – celle des jardins statuaires, sont les signaux annonciateurs et grandissants de la barbarie, jusqu'au basculement total dans l'arbitraire et la violence d'état avec le procès du héros, qui nous rappelle évidemment celui de Joseph K.

« Il m'arriva souvent de rentrer chez moi non seulement fourbu d'avoir hanté les antichambres de divers services qui se renvoyaient mon cas, non sans parfois me faire tourner dans un cercle vicieux ; mais encore profondément blessé par la froide rigueur d'interlocuteurs qui, faisant litière de ma bonne foi, de mon intégrité et de mes états de service, m'opposaient abruptement les obstacles techniques propres au fonctionnement de leur office et me considéraient ostensiblement comme le déchet d'une monstrueuse machine. »

La barbarie (et la possibilité de son avènement) est parfaitement incarnée par Charançon, bibliothécaire médiocre promu au rang de professeur et devenant supérieur hiérarchique du héros, quand celui-ci réussit enfin à réintégrer l'université. « C'était une sorte d'érudit vétilleux, solennel et bien-pensant à qui je n'avais jamais entendu énoncer, mais sur un ton parfaitement magistral, que les lieux communs les plus éculés et les plus contestables. »

A la fin, pour clore son destin tragique sans compromettre ses proches, le narrateur a prévu de brûler son livre achevé ... juste avant il nous livre un entre aperçu d'un futur possible sous la forme d'une anecdote énigmatique.
Ce livre est un bonheur dense grâce à l'écriture magnifique et ciselée de Jacques Abeille.
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Après le fantastique voyage des "Barbares", un bien sombre retour à Terrèbre...

Paraissant ces jours-ci, ce troisième opus de la redécouverte de Jacques Abeille menée de main de maître par les éditions Attila ramène le narrateur à Terrèbre, après la disparition des barbares. Il ne s'agit plus cette fois des fiévreuses et souvent enivrantes découvertes des deux tomes précédents : replongeant dans l'atmosphère citadine plus étouffante du "Veilleur de jour" (toujours disponible chez Ginkgo), le héros mesurera avec nous, tragiquement, où se situe vraiment la barbarie...

"Comme l'inachèvement eût été pour ainsi dire parfait s'il s'était produit en toute modestie, après que j'eus décrit le divorce de Félix, sur la coulée laiteuse de la route sinuant entre les masses noires des buissons et des haies. L'ombre était si proche et si ouverte cette blancheur nocturne. Cela n'eut pas lieu et me voilà déjà aux portes de Terrèbre, ayant perdu tous mes amis et contraint, si je veux échapper au vide du temps, de poursuivre une narration où ne se donneront plus cours que la prose du monde et la bêtise humaine. La bêtise citoyenne, la barbarie, la vraie."

Si les intrications raffinées et le style précis et enchanteur évoquent toujours autant Gracq et Jünger, c'est nettement l'ombre atroce du Kafka le plus noir qui remplace ici celle, exaltée par les espaces à parcourir, de Saint-John Perse, pour ce nécessaire retour au réel...
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La Barbarie est la suite directe du roman Les Barbares. L'ensemble constituait d'ailleurs à l'origine un unique projet et a depuis été publié en poche sous le titre Un homme plein de misères.

Alors que le roman précédent était une vaste fresque dans laquelle le narrateur était embarqué malgré lui loin de Terrèbre, cette courte seconde partie raconte son retour dans la capitale de l'empire. le professeur sans nom va y constater la montée d'un régime bureaucratique et médiocre qui lui reproche la publication de sa traduction du livre des Jardins statuaires, ouvrage jugé contraire aux intérêts de l'empire. On souhaite qu'il admette avoir inventé de toutes pièces ce récit car, en vertu de la nouvelle version de l'histoire, les jardins statuaires ne sont et n'ont toujours été qu'une province de l'empire spécialisée dans la culture maraîchère.

Dans ce court récit Jacques Abeille approfondit l'une des thématiques centrales de son cycle : la barbarie ne réside pas dans l'inconnu lointain mais dans la médiocrité de notre conformisme.

« Je crois qu'on se trompe sur le sens des événements; nous ne nous éloignons pas de la barbarie, nous y allons. »
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