Camille ne quittera jamais son mari, il en a la certitude. Il aime les instants volés qu'il partage avec elle, sachant que cette clandestinité donne à leur histoire tout son piment. Il a passé l'âge des serments de pacotille et n'est pas du tout certain de vouloir plus, tout recommencer depuis le début, une vie de couple, plonger ce fut défendu dans les écueils du quotidien, risquer d'en expurger la magie de l'interdit.
Ce qu'il sait en cet instant précis, c'est qu'à son âge, il n'a plus envie de perdre son temps.
Son propre passé se mélange à cette profusion de rage et de violence, la culpabilité qui en découle, le départ de sa femme, la solitude abyssale, et cette sensation terrifiante d'être au fond d'un gouffre d'où il est incapable de s'extraire. Une succession d'émotions l'étreignent avec une férocité qu'il peine à maîtriser : l'amour qui se délite au fil des mois, des années, ce sentiment inconditionnel mis à mal par un déluge de conflits, de reproches dont il rejette obstinément les causes. Son impuissance à endiguer le flots des rancœurs, sa maladresse, sa douleur, l'une et l'autre de plus en plus prégnantes. Et puis le désir secret de se débarrasser de ce poids désormais trop lourd à porter. Comme un poison insidieux qui s'insinue dans ses veines et se faufile, à son corps défendant, jusque dans son cœur. Cette enfant qu'il a chérie de tout son être, Il a fini par en maudire l'existence. Le remords d'éprouver un si abject sentiment, la honte d'être passé de l'autre côté de la barrière, lui, le fils mal aimé qu'une mère a nourri de son désamour. Le refus, l'amertume, l'incompréhension. L'effroyable impuissance qui l'enracine à sa détresse. Enfin, la rancune tenace envers Mylène d'avoir fait de lui ce père indigne dont la présence est devenue plus nocive encore que l'absence de sa mère. L'envie folle de mettre un terme à ce calvaire. L'espoir funeste que cette spirale infernale prenne définitivement fin.
Ses multiples rancœurs reprennent du service et tournent en boucle dans son esprit . Elle rumine ses griefs, accumule amertume et ressentiment, nourrit sa haine et sa colère.
Les notions de temps et d'espace se brouillent aux confins d'une raison en sursis. Égaré dans un no man's land, son esprit navigue sans boussole vers les berges de son existence.
Piégée dans un sens interdit.
Une figure d'ange peut-elle cacher un cœur de démon ?
Le chant des oiseaux résonne autour de lui comme des notes de cristal qui éclatent à la manière de bulles de savon. D'autres mélodies leur font écho, les percussions rythmées des piverts affairés, le craquement des branches écrasées sous les pattes d'un renard, les feuilles des arbres qui bruissent dans un chuchotements céleste.
"Qui que tu sois, quoi que tu fasses, la nature sera toujours la plus forte."
Le plus terrible dans le "je sais pas" d'Emma, c'est qu'il dit clairement son refus de parler, sans qu'on puisse en appeler à la moindre responsabilité.
A cinq ans, on est innocent. Dans tous les sens du terme.
Qu'importe l'âge de nos enfants, le monde s'écroule autour de nous lorsqu'ils sont dans la tourmente.