On ne sait jamais rien de ce qui se noue entre les êtres, eux-mêmes souvent l'ignorent, et le découvrent en se perdant.
Nos vies sont les mêmes. Nos vies se débattent, crient dans la nuit, hurlent et tremblent de peur. Infiniment nous cherchons un abri. Un lieu où le vent siffle moins fort. Un endroit où aller. Et cet abri est un visage, et ce visage nous suffit.
"Nos vies sont les mêmes. Nos vies se débattent, crient dans la nuit, hurlent et tremblent de peur. Infiniment nous cherchons un abri. Un lieu où le vent siffle moins fort. Un endroit où aller. Et cet abri est un visage, et ce visage nous suffit."
Chloé grogne et je respire ses cheveux, son odeur de savon, d'eau de cassis et de lait. J'embrasse son cou, ses doigts minuscules, son épaule. Elle ouvre les yeux un instant, murmure "papa" et se rendort aussitôt. Il y a maintenant deux ans qu'elle est née, qu'elle est près de moi et me protège.
Nous avons quitté Paris et c'était comme fuir une ville morte. Tous les gens que j'y croisais ressemblaient à mes voisins, ombres réduites à la fatigue, à l'enchaînement des gestes quotidiens. La ville m'étouffait et chacune de ses rues me semblait marquée au fer rouge du souvenir et de la perte. Claire répétait qu'il fallait partir, qu'il fallait qu'on se sauve. Elle voulait sentir la mer, la sentir chaque jour, chaque minute, dès que l'envie lui en prendrait. Elle aussi charriait son lot de fantômes. La mort de Léa l'affectait en profondeur, même si elle n'en disait jamais rien, la mort de Léa l'avait blessé plus encore que je ne l'avais imaginé, et aujourd'hui encore m'échappe la nature véritable des liens qui les unissaient. On ne sait jamais rien de ce qui se noue entre les êtres, eux-mêmes souvent l'ignorent, et le découvrent en se perdant.
Nos vies sont les mêmes. Nos vies se débattent, crient dans la nuit, hurlent et tremblent de peur. Infiniment nous cherchons un abri. Un lieu où le vent siffle moins fort. Un endroit où aller. Et cet abri est un visage, et ce visage nous suffit.
Je me demande parfois pourquoi elle m'avait en quelque sorte choisi, ce qui dans mon attitude, mes gestes ou mon visage me trahissait, si tout cela participait d'une sorte de reconnaissance instinctive qui fait que parfois ceux qui se ressemblent s'assemblent, et parmi eux, plus que les autres peut-être, les plus fragiles et les moins armés pour affronter les vents froids.
Nos vies sont les mêmes. Nos vies sont pareilles et inquiètes. Nos mémoires délavées, rongées par l'acide, trouées comme du mauvais coton. Notre avenir enfoui, notre histoire illisible, sans contour ni colonne vertébrale, toutes lumières éteintes. Nos vies sont des morceaux mal assemblés, des bouts épars qui jamais ne se joignent.
La vie abime les vivants et personne,jamais,ne recolle les morceaux,ni ne les ramasse.
On ne sait jamais rien de ce qui se noue entre les êtres, eux-mêmes souvent l'ignorent, et le découvrent en se perdant.