Avec la disparition de l’ennemi soviétique, la résignation des États arabes à une tolérance (de fait) de plus en plus grande envers Israël et l’acceptation de son existence, rendirent l’islamisme (qui n’a jamais été pro-américain) à la fois inutile mais aussi très dangereux. « L’islamisme », que l’on peut légitimement définir comme la défense de l’intégrité politique de l’Islam sur son aire culturelle historique, ne reconnaît peu (et à l’origine pas du tout !) la légitimité des États séculiers arabes, n icelle de l’existence d’Israël en Palestine, tout ceci en plus de combattre l’occidentalisation des sociétés musulmanes.
La Révolution iranienne dirigée par Khomeyni reste très illustrative de ce point. Malgré ses caractéristiques d’obédience chiite, l’islamisme de Khomeyni – comme nous l’avons vu dès nos premières lignes – partage avec l’islamisme sunnite l’idée que l’Islam a un rôle politique civilisationnel à jouer sur Terre. Anticommuniste, anti-israélienne, anti-occidentale et opposée aux régimes arabes séculiers : la nouvelle République iranienne (dite Islamique) va contribuer à bouleverser la donne.
Nous savons que Khomeyni avait d’ailleurs un respect important pour Sayyid Qotb et qu’il s’est lui-même imprégné de l’islam politique sunnite(1) via ses lectures, pour réfléchir à son projet révolutionnaire islamique en y intégrant des concepts propres à la théologie chiite (Cf. ‘’wilayât al faqih’’). Cette vénération envers Qotb est témoignée par la diffusion en 1985 d’un timbre officiel de la République Islamique d’Iran à l’effigie du penseur égyptien.
(1) Rappelons que Khomeyni avait lu certains auteurs sunnites contemporains, en plus de Qotb, il y avait particulièrement Abû Al A’lâ Al Mawdûdî et le Chaykh Abû Hassân ‘Alî An-Nadwî (ce dernier avait reçu le prix du roi Faycal en 1980 avec les bonnes grâces du Chaykh Ibn Bâz). Ce point démontre que l’idéal politique islamique avec ses positions doctrinales générales (anticommunisme, anticapitaliste, anti séculariste et cherchant à fonder un Etat et une société islamique), pouvait être partagé autant par des auteurs sunnites doctrinalement anti-chiites que par des auteurs chiites radicaux. Ce que l’Occident nomme ‘’Islamisme’’ (Islam politique) peut se retrouver à la fois dans le monde sunnite ou dans le monde chiite, avec des particularismes liés aux différences de doctrine. Rappelons une vérité historique : que cela soit dans la science dite des Usûl, dans le Fiqh, dans le tafsîr et dans les sciences du hadîth (etc.), les théologiens chiites n’ont parfois jamais hésité à lire et à se nourrir des œuvres de théologiens sunnites, du fait justement de la rigueur scientifique dont ces derniers font preuve. Par contre l’inverse est extrêmement rare (sinon inexistant !) : ne serait-ce que parce que les théologiens chiites ne font pas preuve d’autant de rationalité dans la méthode scientifique que les auteurs sunnites, en étant capables de falsifier des sources, de fabriquer des allégations très suspectes (voir fantasques) visant à accréditer leur visions de l’Histoire musulmane, corroborer leur dogme et leur propre jurisprudence. (pp. 74-75)
Chaque pays arabe – et même chaque pays musulman – doit suivre un plan pour lutter contre la France et contre le monde colonial qui la soutient.
La première décision qui doit être prise, selon moi, est l’expulsion de tout flagorneur qui se fait panégyriste de ce monde colonial, loin de notre vie intellectuelle et quotidienne. Car les forces coloniales les soutiennent, et leur permettent d’accéder aux postes d’État, à l’économie et aux cercles du pouvoir.
Nous devons nous libérer intellectuellement et dans les faits de l’adoration du ‘’monde libre’’, du monde ‘’civilisé’’, ce monde qui assassine nos leaders et mutile leur cadavre par lâcheté, qui jette les blessés aux chiens sauvages pour les décapiter. Ce monde qui s’ameute à l’instar de fauves enragés autour d’un jeune homme de couleur, puis ne le laisse que lorsque le sang coule abondamment de sa bouche, de son nez et de sa tête(1).
Lorsque nos sentiments se seront libérés de l’adoration de ce monde nauséabond, que nos rancunes sacrées se seront réunies contre ce monde, et lorsqu’assoupis ou éveillés, cette sacro-sainte rancœur bouillonnera dans notre sang, à ce moment-là, nous saurons comment nous débarrasser de cette adoration.
C’est la vénération idéologique qui nous soumet. Débarrassons-nous d’elle d’abord, puis que l’on taise toute parole, et que l’on brise toute plume nous parlant avec des mots d’esclaves : celles de nombreux esclaves présents en Égypte et dans le monde arabe.
(1) Qotb évoque très sûrement ici le lynchage d’un Noir aux USA comme il le raconte lui-même dans son essai L’Amérique telle que je l’ai vue ci-après. (article « La France ou la liberté », 1952, p. 172)
Ceci est la France… Ou la liberté… comme disent ses nombreux esclaves se trouvant en Égypte et dans l’Orient arabe !
Ceci est la France, sans ornement ni propagande éblouissante. La France décrite seulement par ses actes, non plus par les plumes traîtresses et les langues mensongères, des plumes et des langues d’esclaves, présents en Égypte et dans l’Orient arabe !
Ceci est la France… un groupe de brigands…une bande barbare et sauvage, guettant les chefs politiques (arabes), les tuant par perfide et mutilant leurs corps par bassesse et vilenie… Puis elle se vante ensuite devant le monde entier, car en effet, ses crimes sont considérés comme relevant du privé, et donc personne n’a le droit de la questionner à ce sujet !
Cette France se tenant telle une lionne, le sang du brave chef-Farhat Hachchdad – coulant de sa bouche et tout le monde la voit barboter dans le sang, sans qu’elle ne ressente aucune gêne de la honte en s’abreuvant du sang des martyrs.
Cette France, que les hommes invoquent pour sa mémoire, louent et prient pour ses bienfaits, des hommes qui, pour certains d’entre eux, sont des « leaders de la pensée » Voilà déjà plus d’un siècle, que la France nous présente cette pièce de théâtre sauvage, sur la scène nord-africaine, depuis sa colonisation de l’Algérie en 1830. Et pendant qu’elle met en scène cette pièce ignoble, ses esclaves récitaient inlassablement ses hymnes, au nom de la France, cette France gardienne de la liberté."
Aïssam Aït Yahya : "Sécularisation de la foi musulmane". Avec base le livre publié aux Editions Nawa : "Les origines chrétiennes d'une laïcité musulmane - L'Irja ou le chaînon manquant".