Un roman nerveux, traversé par une grande violence omniprésente même si elle est surtout sous-jacente, très noir et au final bouleversant. La traduction française du titre est d'ailleurs toute gentillette, par rapport à l'original en espagnol du Mexique : « perra brava », ce qui veut dire « brave (ou gentille) chienne » - et qui en plus fait référence à la playlist que l'autrice cite à plusieurs reprises au cours du roman et rassemble à la fin, de ces chansons elles aussi très violentes et machistes, d'un groupe proche des cartels du nord du Mexique.
Car, oui, c'est bien de cela qu'il s'agit… et quand je lis le synopsis et/ou les critiques sur l'une ou l'autre plateforme de lecteurs, je me demande si j'ai vraiment lu le même livre !
Oui, l'héroïne et narratrice de ce livre est une jeune femme prénommée Fernanda. Très sûre d'elle en apparence, sous des dehors souvent capricieux, voire provocateurs avec son entourage, elle est surtout fragile et même complètement paumée à l'intérieur. Elle est très attachée à sa soeur qui l'a élevée et qui lui sert de modèle, malgré le fait qu'elle méprise le mode de vie terne et pauvre de cette dernière (simple infirmière qui trime au jour le jour sans espoir d'ascension sociale), et elle ferait n'importe quoi pour protéger cette unique soeur et sa nièce qu'elle adore.
Mais aussi, Fernanda est traumatisée par le souvenir du meurtre de sa mère par son père, un soir d'ivresse des années auparavant. On en parle relativement peu, pourtant cette image plane de façon récurrente, et détermine un certain nombre de décisions que Fernanda va prendre, pour le meilleur ou pour le pire…
Évidemment, si c'est là la « base » même du roman, qui va définir la suite de l'histoire d'une certaine façon, ce n'est absolument pas présenté de façon classique, ni même au travers de flashes back bien structurés ! Non : on a une écriture ultra-nerveuse, parfois même à la limite du décousu, qui donne l'impression d'aller dans tous les sens, voire même de raconter du n'importe quoi. Cette écriture est ponctuée de nombreux dialogues entre Fernanda et ses proches, et notamment son ami de toujours – et surtout très homosexuel, ce qui est pour lui une véritable protection – un certain
Dante qui lui sert aussi de véritable ange gardien… bien un peu inutile ! Et ainsi, c'est le lecteur qui doit reconstruire l'histoire au fil des événements, qui n'ont pas forcément l'air de se tenir, et qui suintent de cette violence déjà évoquée, du fric facile et d'une espèce de danger omniprésent.
C'est que Fernanda, plutôt jolie et de caractère, a rencontré Julio. Elle présente elle-même plusieurs versions de cette rencontre, plus ou moins contradictoires, impossible de dire laquelle est la bonne, mais quelques éléments en ressortent : elle connaissait déjà ledit Julio au temps du lycée, mais ils se sont retrouvés alors qu'il est devenu « quelqu'un ». Pas une seule fois le mot « drogue » n'est cité dans ce livre, et pourtant il est plus qu'évident, et les synopsis ou critiques qui disent que Fernanda ne sait rien des activités de son amant n'ont visiblement pas lu cette page en particulier, aux 65% du roman : « J'ai imaginé ma carte de visite : « Étudiante de l'UNI, bras droit du chef du cartel local.».»Quel autre cartel sinon celui de la drogue ? dans cette région du nord du Mexique, si proche de la frontière américaine, où Fernanda et son ami
Dante passent d'ailleurs régulièrement sans aucun problème pour aller faire du shopping, usant là comme dans d'autres situations de ces passe-droits qu'offre l'argent facile de cette drogue – ce qui, au passage, sans que ce soit dit pourtant, pose sérieusement question sur cette « passoire » qu'est la frontière mexico-américaine, plutôt connue pour être strictement fermée, et pourtant…
Mais voilà : Fernanda n'est pas exactement le bras droit de ce chef de cartel, elle est sa femme, son amante, sa propriété, son objet que l'on exhibe au même titre que ses voitures de luxe, notamment dans des fêtes où les différents gangs paradent, tandis que les femmes s'ennuient… On comprend très vite qu'elle est complètement sous l'emprise de son Julio, elle ne peut pas vivre sans lui, mais l'aime-t-elle vraiment ? Ce synopsis qui parle de « passion dévastatrice »… je ne suis pas d'accord ! Il n'y a pas de passion, on est bien davantage dans quelque chose qui ressemble à une addiction, et quand la source de cette addiction s'éloigne – pour ses affaires, ou par « punition » après qu'elle a fait une quelconque bêtise qui a dérangé ce caïd de Julio – elle est carrément en manque ! mais ce n'est pas de la passion… Jusqu'au jour où il s'avère que Julio, malgré sa collection de maîtresses (alors que Fernanda, elle, est condamnée à une certaine chasteté en-dehors de sa relation avec lui), semble bien être réellement tombé amoureux d'elle…
On notera aussi la brochette de rôles secondaires bien intéressants. J'ai déjà parlé du meilleur ami
Dante, ou de la soeur Sofía et de la nièce Cynthia. Mais on a aussi toute la bande des hommes de mains de Julio, qui sont présentés, en tant que groupe, à la mexicaine, sous l'appellation de « cabrones », ce mot dont les Mexicains usent et abusent autant pour injurier quelqu'un que pour s'adresser à un ami ! J'ai bien apprécié que la traductrice ne cherche pas à traduire cette expression typique, intraduisible justement, mais se contente de l'expliciter en note de bas de page au début de l'ouvrage.
Et donc, ce sont ces « cabrones » qui participent à créer une certaine ambiance. Toujours très présents autour du Fernanda, car ils lui servent autant de gardes du corps que de gardiens de sa vertu, on rencontre à travers eux ce peuple mexicain qui s'est rallié aux cartels de la drogue. Ils portent tous un surnom, leur vraie identité étant effacée à jamais. Mais surtout, ils sont d'origines bien différentes – entre celui qu'on décrit comme un peu bête mais ultra-fidèle, ou le taiseux qui lit Chomsky pendant son tour de garde auprès de Fernanda – et montrent ainsi, à nouveau sans que ce soit dit autrement – à quel point n'importe qui peut glisser vers ce monde sans retour, quelle que soient ses raisons. Seule Sofía, la soeur de Fernanda donc, ne cesse de mettre celle-ci en garde contre les cartels, mais on l'a compris : c'est constamment en vain !
Un livre nerveux (je l'ai répété souvent, mais c'est vraiment mon impression) et fort, une véritable dénonciation de l'embrigadement dans les cartels de la drogue au nord du Mexique. Lecture qui m'a d'autant plus impactée que j'ai été autrefois, il y a plus de 20 ans, à Monterrey, dans cette ville où se passe l'action… Je n'ai guère de souvenirs précis, et certainement pas d'un tel milieu : j'y étais juste de passage avec mon ami de l'époque, mexicain (mais du D.F.), et ensemble nous visitions les musées et autres lieux hautement touristiques, sans nous attarder en aucune façon dans les quartiers déconseillés par les guides touristiques que j'avais emportés depuis mon lointaine Europe bien tranquille ! Je n'ai donc même pas d'image particulière qui me vient en lisant tout cela, tout au plus un vague malaise qui ne s'apaise pas…
Oui, ce livre est dur et bouleversant, très déconcertant dans sa structure très peu classique, cette plume qui suggère bien davantage qu'elle ne dit, sous le couvert d'un langage à la limite de l'oral, et qui ne l'empêche pas de plonger par moments dans une véritable introspection, au coeur même des pensées de cette fille capricieuse, hautaine parfois, pourtant aimante et attachante, et surtout très paumée – en un mot : inoubliable ! - qu'est Fernanda.
On aime ou on n'aime pas, pour ma part je suis vraiment bouleversée. L'histoire est terrible en fait, et l'écriture déconcertante ne prête pas au coup de coeur, mais il faut avoir lu ce livre pour appréhender un petit quelque chose du drame mexicain actuel.