Entamées il y a maintenant sept ans, voilà que les « extraordinaires et fantastiques enquêtes de Sylvo Sylvain » touchent à leur fin avec ce quatrième tome au titre particulièrement révélateur : « De bois et de ruines ». On retrouve notre héros dans le même état que celui dans lequel on l'avait laissé à la fin du précédent tome, à savoir complètement apathique, plongé dans un délire opiacé dont il escompte bien ne plus jamais ressortir. C'était toutefois sans compter sans l'arrivée de son acolyte miniature, le pilly Pixel, qui vient requérir les services du détective pour une affaire d'une importance capitale. Et l'enjeu est de taille, puisque la mission consiste en rien de moins que retrouver une certaine Spirée, dernier espoir de survie de sa forêt natale, et qui, au plus grand désarroi du privé, se révèle être sa fille. Impossible de s'y tromper, la série touche bel et bien à son terme, aussi ce quatrième tome prend-il très vite des allures de grand final : tous les personnages secondaires ayant un jour ou l'autre aidé le détective dans ses enquêtes se trouvent réunis pour un dernier baroud d'honneur qui, il faut l'avouer, ne manque pas de panache. Tout ce petit monde va ainsi se lancer dans une véritable course contre la montre dans une ville méconnaissable dans laquelle chaque coin de rue, chaque bâtiment, recèlent désormais des dangers plus vicieux les uns que les autres. Affrontement entre bandes rivales, zombies, sorcier, sirène revancharde, tortionnaire d'une cruauté inouïe, ombres particulièrement collantes, lutins hargneux... : voilà un petit aperçu des obstacles auxquels Sylvo, Pixel, Mary, le Géomètre et les autres vont se retrouver confrontés tout au long de ces quatre cent pages.
L'avantage, c'est que cette perpétuelle mise en action des personnages donne au récit un côté très dynamique : on ne s'ennuie pas une seconde ! L'inconvénient, c'est que c'est à peine si l'auteur nous laisse le temps de reprendre notre souffle entre deux péripéties. Courir et tirer, voilà, pour faire court, en quoi consiste ici l'essentiel de l'activité des personnages, ce que le pillywiggin ne manque d'ailleurs pas de lui-même expliquer à Sylvo avec son tact légendaire : « Tu nous gonfles avec tes questions ! Ça fait des semaines que le cosmos tout entier part en couille ! Alors à présent tu fais comme nous ! Quand tu tombes sur un truc bizarre, ou tu le dégommes, ou tu cavales ! » Outre le coté un peu répétitif de la chose, cette débauche d'action a également trop souvent tendance à prendre le pas sur l'émotion, et cela se ressent notamment lorsque, inévitablement, certains personnages finissent par succomber : on partage alors le chagrin des survivants pendant quelques lignes, et puis il y a déjà un autre danger, un autre indice, ou un autre ennemi qui vient trop vite requérir toute notre attention. En terme de rythme, ce quatrième volume vient ainsi totalement s'opposer au précédent qui se voulait comme une véritable parenthèse pendant laquelle l'auteur avait, au contraire, opté pour un mode de narration beaucoup plus posé mais aussi plus émouvant. Cette opposition n'est évidemment pas fortuite puisqu'elle correspond à la rencontre tant attendue mais néanmoins explosive entre les deux mondes dans lesquels Sylvo a tour à tour tenté de faire sa vie : celui de Toujours-Verte, paisible et empli de souvenirs mais désormais inaccessible, et celui de Panam dans lequel notre héros a tenté de se faire une place.
Comme dans les précédents tomes, c'est d'ailleurs cette ville de Panam qui constitue le plus gros point fort du roman. Ne vous attendez pourtant pas à la retrouver telle que vous l'aviez quittée, car c'est dans une cité méconnaissable, en pleine déliquescence, que le détective émerge de son comas. Encerclée par les troupes ducales, Panam est pour le moment au main des rebelles qui savent bien, toutefois, que leurs jours sont désormais comptés. Impossible évidemment de ne pas penser à la Commune de Paris dont l'auteur s'inspire ici franchement ce qui est plutôt rare en fantasy (du moins à ma connaissance...) et qui, personnellement, n'est pas pour me déplaire. Sans compter que ce chamboulement politique s'accompagne de toute une série de bouleversements d'ordre magiques de plus ou moins grande ampleur. L'académie laisse ainsi régulièrement échapper des émanations magiques spectaculaires tandis qu'une nouvelle colline phosphorescente a fait son apparition en plein milieu de la ville et que les inondations causées par la Veine a transformé certains quartiers en véritables îles et rendu les ondines plus imprévisibles que jamais. Ces quatre cent pages regorgent ainsi de trouvailles plus intéressantes les unes que les autres et qui contribuent à donner à ce dernier tome une ambiance inquiétante du plus bel effet. Seul petit bémol : des descriptions parfois trop détaillées qui, si elles montrent bien le soin méticuleux porté par l'auteur à son décor, ne présentent parfois que peu d'intérêts pour le lecteur. Inutile, par exemple, de nous donner l'itinéraire détaillé des personnages et d'égrainer les noms de rues à chaque changement de destination (même si on trouve parmi eux de petits clins d'oeil amusants à relever, de la rue Saint G. R.
R. Martin à celle de Jonathan Strange et Mister Norrell).
Raphaël Albert offre avec « De bois et de ruines » une belle conclusion à son détective que l'on quitte avec regret, de même que l'univers de Panam ainsi que toutes ses figures emblématiques (Pixel en tête !). Que les quelques défauts relevés ici en terme de rythme ne vous refroidissent pas, car cette tétralogie vaut incontestablement le coup d'oeil et repose sur de solides atouts. Univers travaillé et original, personnages attachants et plus torturés qu'il n'y parait, dialogues bourrés d'humour... : voilà un petit aperçu de ce qui vous attend si vous décidez de vous plonger à votre tour dans ces « extraordinaires et fantastiques enquêtes ». Pour ma part, je ne regrette pas la découverte !