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Le récit s'ouvre sur le témoignage d'Elena, la femme d'un pilote, dont elle raconte la longue agonie, le transfert vers Moscou, sans vraiment prévenir l'entourage, pour éviter les pleurs, la révolte, le corps qui se désagrège sous l'effet des radiations. Elle est enceinte à ce moment-là et personne n'a pris de précautions, elle l'avait caché pour pouvoir veiller sur son époux. A vingt-cinq ans, à peine, elle va tout perdre.

Pour raconter Tchernobyl, Svetlana Alexievitch a décidé de ne pas raconter l'évènement mais de donner la parole à des témoins : des familles, des liquidateurs, des médecins, physiciens, pompiers, pilotes d'hélicoptères, soldats, enseignants, des gens qui vivaient à côté et de la centrale et qui ont tout perdu et auxquels on n'a rien expliqué. Expliquer, poser des questions, c'était agir contre l'URSS, de la désinformation ou de l'espionnage au profit de l'Occident.

Certains étaient d'ailleurs persuadés qu'il ne n'était rien passé, ou encore, qu'il s'agissait d'un sabotage d'une personne travaillant à la centrale voire de la CIA ou autre… Les détecteurs de radiations, quand il y en avait suffisamment, s'affolaient alors on les mettait de côté.

On est frappé par la manière dont les choses ont été gérées par les autorités : il ne s'était rien passé, du moins rien de grave. Les personnes habitant le village ont été emmenées ailleurs, sommées de laisser tout sur place, mais la radiation ne s'est pas arrêtée à quelques km autour de la centrale. Il fallait retourner la terre, enterrer, ce qui pouvait l'être et… recommencer le lendemain, car les surfaces restaient radioactives. Puis on finit par creuser des trous de plus de cinq mètres pour y enterrer les arbres et les maisons entières.

La catastrophe a eu lieu le 26 avril, et il fallait absolument que le défilé du premier mai ait lieu avec la liesse et faste habituels de même que l'armistice qui est fêté le 9 mai…

Les « volontaires » étaient des conscrits qu'on allait chercher, en les menaçant d'exécution s'ils n'obéissaient pas. On envoyait les physiciens manier la pelle, enterrer tout ce qui pouvait l'être et pour finir, ils devaient aller « nettoyer le toit » : le béton puis le bitume fondaient et ils devaient marcher dessus, emmagasinant encore davantage de radiations.

"Notre régiment fut réveillé par le signal d'alarme. On ne nous annonça notre destination qu'à la gare de Biélorussie, à Moscou. Un gars protesta – je crois qu'il venait de Leningrad. On le menaça de cour martiale. le commandant lui dit, devant les compagnies rassemblées : « Tu iras en prison ou seras fusillé. »

Jeter les légumes, le lait, car les vaches paissaient dans l'herbe contaminée, puis trafic, comment expliquer que les légumes étaient contaminés alors qu'ils étaient si beaux ? Certes, les feuilles de radis ressemblaient à des feuilles de betteraves mais…

Puis sont apparues les malformations chez les animaux, chez les bébés, qui mourraient la plupart du temps, puis plus tard, leucémies, dysfonctionnement de la thyroïde… A ce propos, il y avait bien des pastilles d'iode disponibles, mais elles étaient réservées à une éventuelle guerre nucléaire. On n'avait jamais évoqué la possibilité d'un problème nucléaire lié à une centrale.

L'auteure cite également des réflexions plus générales des témoins sur la vérité, le silence la vie, la mort, etc. Ce qui m'a frappé, c'est le côté fataliste des Russes, de l'homme soviétique, et son patriotisme, son besoin de croire à un destin, à se sacrifier pour son pays.

"Nous sommes tous des fatalistes. Nous n'entreprenons rien parce que nous croyons que rien ne peut changer. Notre histoire ? Chaque génération a vécu une guerre… Comment pourrions-nous être différents ? Nous sommes des fatalistes."

Cet essai est remarquable, tout est dit, jamais Svetlana Alexievitch ne se risque à une interprétation, elle note au fur et à mesure les mots de ces témoins qui ont bien voulu venir parler avec elle, parfois seul, d'autres fois à plusieurs tel ce qu'elle appelle le choeur des soldats : liquidateurs, conducteurs pilotes d'hélicoptère, miliciens…et c'est parfois glaçant.

C'est le premier livre de Svetlana Alexievitch , qui a reçu le prix Nobel de Littérature en 2015 que je lis, car je l'avoue, je procrastinais jusqu'à présent, mais l'heure était venue, d'autant plus que Tchernobyl est revenue en fanfare dans l'actualité avec la guerre en Ukraine. de plus, j'ai énormément apprécié la série télévisée « Chernobyl » il y a quelques mois, toutes les planètes étaient donc alignées !
Lien : https://leslivresdeve.wordpr..
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J'ai découvert la série HBO suivant les conseils de plusieurs de mes proches, et étrangement envoûté, j'ai voulu lire ce livre, qui nous plonge dans l'intimité de la catastrophe de Tchernobyl.
Les témoignages sont simples, sans détour.
La maitresse d'école raconte que les enfants s'évanouissaient et saignaient du nez lorsqu'ils restaient debout dans la cour trop longtemps, les paysans expliquent qu'ils allaient ramasser leurs pommes de terre en cachette, puisque les autorités expliquaient qu'il ne fallait plus rien consommer sur place... On cerne parfaitement l'incrédulité de la population face à la radioactivité que l'on dit mortelle, mais qui finalement ne se touche pas, ne se sent pas, ne se voit pas...
Comment accepter de fuir, de tout abandonner, pour cet ennemi invisible?
On entre dans la douleur intime de ces gens, journalistes, paysans, soldats, dépassés par quelque chose qui n'avait jamais eu de précédent sur cette planète...
A lire absolument.
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Tchernobyl.
Ce nom qui résonne comme celui d'une bataille sournoise.
Le nom d'une défaite, avec ses héros, ses salauds et tous ces morts.
La supplication est un livre essentiel à la compréhension de ce qui est arrivé ce jour funeste de 1986: une catastrophe nucléaire en forme de cauchemar.
L' agonie d'une terre atomisée en temps de paix.
Pour offrir cette sorte de chant funèbre Svetlana Alexievitch a recueilli les témoignage des survivants (peut-on les appeler autrement)... Dix ans après, lorsque les langues se délient et que les yeux se sont décillés.
Et c'est l'âme slave qui s'exprime, à travers ces hommes et ces femmes transcendés et meurtris par cette catastrophe incompréhensible.
C'est poignant, comme peut l'ètre le chant des Bateliers de la Volga ou La Varsovienne entonnés par les Choeurs de l' Armée Rouge.
Svetlana Alexievitch a fait un travail exemplaire et opiniâtre, duquel découle un réquisitoire sans appel contre ceux qui se turent, dissimulèrent et envoyèrent à la mort des hommes habités par le simple et bel esprit du devoir. Contre ceux qui mentirent et minimisèrent à outrance les conséquences de l'explosion d'un réacteur atomique.
Tchernobyl.
Ce nom qui sonne comme le tocsin d'une époque et la fin de l'innocence.
Merci, Svetlana Alexievitch, de nous avoir donné ce livre inestimable.
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POIGNANT

Svetlana Alexievitch ne nous raconte pas Tchernobyln elle laisse la parole à ceux qui ont vécu ce drame de l'intérieur.
Aux femmes qui ont perdu un mari, un enfant, qui étaient enceinte à l'époque. Aux hommes, ceux qui ont travaillé près de cette centrale, aux enfants, ceux qui étaient nés, ceux qui ont perdu un papa.
Ces gens témoignent de la catastrophe, de ses conséquences, de leurs rapports humains.
ce qui ressort à coup sur de cet ouvrage, c'est que les gens ne savaient pas. L'énergie atomique, ce travailleur infatigable, étaient connus, mais ses conséquences néfastes pas. personne ne leur avait expliqué, que ce soit avant ou après, les conséquences d'une catastrophe nucléaire.
D'ailleurs c'est à se demander si quelqu'un là-bas avait un jour envisagé un problème d'une telle ampleur : ils n'avaient même pas de dosimètres adaptés ou de tenues permettant de se protéger un peu.
Ce qui ressort aussi c'est un patriotisme hors norme : ces gens sont allés nettoyer le toit de la centrale, enterrer les déchets,... et quelque part sauver l'humanité parce qu'une autorité supérieure leur avait demandé. Merci à tous ces gens d'avoir donné leur vie pour sauver les nôtres.
Les voisins de la centrale ne savaient pas, mais les autorités ? Black out, désinformation mais aussi minimisation de la catastrophe par manque de savoir. le besoin aussi de ne pas faire paniquer la population.

C'est un livre coup de poing, mais uniquement de témoignages. Sur les faits et parce qu'elle est bigrement bien foutue, je vous conseille de regarder la série Chernobyl. Vous y retrouverez d'ailleurs certaines concordances avec des témoignages présents dans ce bouquin.
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Cela fait plusieurs semaines que j'ai refermé La supplication et que je n'arrive pas à écrire la moindre ligne.
Non pas que je n'aie rien ressenti, bien au contraire.
Ce livre m'a fait l'effet d'un coup gigantesque, un choc du genre de ceux qui vous coupent le souffle pour un moment.
Maintenant que je me suis un peu remise (pas complètement, on ne se rétablit pas entièrement d'une telle lecture), voici mon modeste avis.
Svetlana Alexievitch raconte la catastrophe de Tchernobyl ; plus précisément, l'après explosion et ses conséquences sur la population.
Elle a choisi de le faire d'une façon originale : avec les mots des autres.
Au lieu d'écrire elle-même, elle laisse parler ceux qui ont vécu l'événement. Des acteurs et des témoins. Ceux qui travaillaient dans la centrale, ceux qui sont intervenus pour arrêter l'incendie, ceux qui vivaient à proximité.
À l'aide de courts témoignages qu'elle nomme "monologues", elle dresse un tableau implacable des faits.
Ce portrait, composé à l'aide de multiples récits, est stupéfiant.
J'avoue ne pas avoir d'emblée compris l'intérêt de ce procédé, et m'être demandé ce qui valait à l'auteur son prix Nobel de littérature puisqu'elle n'écrivait pas elle-même. Mais petit à petit, tout s'est éclairci.
Tel un peintre qui applique ses couleurs, Svetlana Alexievitch a méticuleusement choisi et organisé le matériau dont elle a disposé ; avec la mosaïque qu'elle a ainsi construite, elle nous a tracé une route. Un chemin vers la compréhension de ce qui est, a priori, incompréhensible.
Elle ne prend jamais position, elle ne commente pas, elle ne juge pas. Elle n'a pas besoin de le faire pour convaincre le lecteur : le contenu est suffisamment explicite.

Un mot m'est venu très rapidement à l'esprit au cours de ma lecture, et ne m'a plus quittée : impuissance.
L'impuissance des hommes tout d'abord. Celle des apprentis sorciers face à la catastrophe qu'ils ont déclenchée, et celle des victimes, dépassées par ce qui se produit.
L'impuissance du lecteur ensuite, qui reçoit de plein fouet toutes ces tragédies, individuelles et collectives et ne peut rien en faire.
Personnellement, je suis longtemps restée sidérée, sans rien pouvoir penser de concret. Ce que j'ai lu allait au-delà de mes capacités de compréhension.

Que dire à cette femme dont le mari fortement irradié met deux semaines à mourir sous ses yeux dans des souffrances inhumaines ?
Que lui dire lorsque les médecins la découragent de rendre visite à cet homme qu'elle aime par-dessus tout, en la mettant en garde frontalement : "Vous ne devez pas oublier que ce n'est plus votre mari, l'homme aimé, qui se trouve devant vous, mais un objet radioactif avec un fort coefficient de contamination."
Que lui dire lorsqu'elle s'inquiète et reçoit en retour ces paroles lucides et froides : "Qu'imagines-tu ? Il a reçu mille six cents röntgens alors que la dose mortelle est de quatre cent. Tu côtoies un réacteur."
Rien.
On ne peut rien lui dire.
Que penser de ce témoignage ?
Je ne sais pas.
Tchernobyl a généré des situations que l'on ne peut pas concevoir, des horreurs qui vont au-delà de l'imagination la plus folle.
Tchernobyl a engendré de l'inhumain et le tour de force de Svetlana Alexievitch est de faire ressortir la part d'humain qu'il y a dans ce désastre qui nous dépasse.
Elle dit avoir voulu "reconstituer les sentiments et non les événements". Elle y est incroyablement bien parvenu, et c'est en cela qu'elle nous touche au plus profond.

Un soldat qui a combattu en Afghanistan témoigne : "Mieux aurait valu pour moi de mourir en Afghanistan ! Je vous le dis très sincèrement : ce sont là les pensées qui me viennent à l'esprit. Là-bas, la mort était une chose banale... Compréhensible..."
"Compréhensible", alors que Tchernobyl est incompréhensible.
La dangerosité médicale des conséquences de l'explosion est largement aggravée par le fait que la radiation est invisible. Quand on combat un ennemi lors d'une guerre, on le voit. Mais là ?
Comment expliquer aux paysans qu'ils ne doivent pas consommer le fruit de leurs récoltes ?
Comment expliquer à ceux qui en possèdent qu'ils ne doivent pas boire le lait de leurs vaches ?
Comment expliquer que la terre est dangereuse ? Que les maisons sont dangereuses ? Que l'air est dangereux ?
Alors que tout est si normal en apparence !
Comment alors convaincre une population entière d'abandonner tous ses biens, son logement, ses souvenirs, sa vie... pour la sauver ?
L'ennemi est invisible, et il a fait des dégâts terribles parce que beaucoup n'ont pas voulu croire à son existence.
Et ce n'est pas près de finir : "La désintégration de l'uranium, il y en a pour un milliard d'années. Et pour le thorium, quatorze milliards d'années." nous dit un scientifique. Un temps qui dépasse l'entendement humain.
Il y a décidément beaucoup de choses que l'homme ne peut comprendre dans cette tragédie !

L'histoire est-elle condamnées à se répéter ?
Ceux que l'on a appelés les "liquidateurs" sont intervenus dès les premières heures dans la centrale pour éteindre l'incendie. Vu la dose de rayons qu'ils recevaient, même en n'y restant que quelques secondes, ils ont été envoyés à une mort certaine.
De la même façon, tous ceux qui ont participé activement au "nettoyage" de la zone.
Quel terme ! Comme si l'on pouvait nettoyer les dégâts de Tchernobyl d'un simple coup d'éponge !
Ils l'ont tous payé de leur vie. Ils ont été sacrifiés par des gens qui savaient, tout comme ont été sacrifiés ceux qui en 2001 ont participé au déblaiement de Ground Zero après l'effondrement des tours.
Comme le dit l'auteur de l'un des monologues, totalement désabusé : "Même le jour de la fin du monde, l'homme restera tel qu'il est maintenant. Il ne changera pas."

J'ai versé des torrents de larmes sur ces pages parce qu'elles sont désespérées et désespérantes.
J'ai versé des torrents de larmes, et pourtant, je vous conseille de les lire à votre tour.
Lisez cette supplication qui vous est adressée, mais attendez le "bon" moment, celui où vous vous sentirez assez forts pour plonger dans cet océan de douleur, de souffrance, de mensonges et de folie humaine.
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Dans cet essai/témoignage Svetlana Alexievitch a donné la parole aux voix solitaires qui ont besoin de se souvenir, qui parlent aux vivants mais aussi aux morts.
Les différents monologues sont des moments d'introspection parfois très dérangeants, semblables à une thérapie pour extirper des mots d'horreur, des témoignages glaçants, de dégâts innommables.
Mais étonnamment il y a autant d'amour que d'horreur dans la profondeur de ces déclarations de la part de ceux qui ont côtoyé de près la mort et qui savent ce qu'ils ont perdu.

Dans ce recueil de confessions post-apocalyptiques, l'auteure biélorusse y mêle également des souvenirs de guerre, car pour les victimes toutes les tragédies se ressemblent.

Toutes les catastrophes ont cette double facette de servir à montrer la vraie nature des gens car la mécanique du mal fonctionne même en temps d'apocalypse.

Certains témoins se posent la question de savoir qui sont les coupables de cette gigantesque catastrophe technologique ?

Il en ressort une constatation assez alarmante sur le peuple russe, ukrainien et biélorusse et l'éducation militaire qu'ils ont reçue.
La vie humaine a un prix très bas dans la vision des dirigeants, il existe une sorte de fatalisme asiatique qui fait que les gens acceptent leur sort, aussi tragique soit-il.
Les hommes sont élevés comme des soldats, mobilisés en permanence, toujours prêts à faire l'impossible.
Toute l'énergie est investie dans le processus de survie.
Nourris par la propagande qui propose la mort comme un moyen de donner un sens à la vie, beaucoup succombent à une sorte de fatalisme primitif.

Pourquoi les gens ont gardé le silence quand ils savaient quelle était la dimension de la catastrophe ?

Beaucoup ont obéi sans murmurer à cause de la discipline du parti communiste.
Tous ont accepté d'aller en mission dans la zone catastrophée, par peur d'être exclus, ou parce qu'on leur a promis des primes exceptionnelles.

C'est un livre dur, éprouvant à la lecture et parfois surréaliste.
On repère entre les lignes des bribes intimes, de petites voix qui tentent de se faire entendre de très loin, de manière bouleversante.

Radiations, cancers, aliénations mentales, malformations et mutations génétiques, les enfants de Tchernobyl ont vu leur formule sanguine changer et ont ainsi une autre perspective de la mort.
Ces témoignages bouleversants nous clouent sur place et ouvrent une faille dans la compréhension des dangers auxquels nous sommes tous exposés.

Svetlana Alexievitch a reçu le prix Nobel de littérature 2015 pour "son oeuvre polyphonique, mémorial de la souffrance et du courage à notre époque".

Notre devoir de mémoire consiste aussi à garder les yeux ouverts sur ces inhumanités auxquelles on ne doit pas s'habituer.



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J'avais 8 ans au moment de Tchernobyl. Je me souviens de l'effarement des gens, puis de l'effroi quelques jours plus tard quand des nuages radioactifs se dirigeaient au-dessus de l'Europe. Je me souviens surtout de ces images, réelles ou imaginaires de corps mutilés, déformés, et d'un paysage lunaire tout autour de la centrale.
Pour cette raison, quand j'ai lu la très belle BD d'Emmanuel Lepage, Un printemps à Tchernobyl, j'ai été aussi surprise que lui de découvrir que sur le site les villages et la ville de Pripiat dormaient au coeur d'une végétation luxuriante, peuplée d'animaux sauvages ou revenus à l'état sauvage.
Et c'est sans doute là l'un des aspects qui a le plus tourmenté la population évacuée de force: abandonner pour toujours cette nature, ces forêts, leurs jardins et potagers que le printemps venait de réveiller, pour s'exiler dans des maisons européennes confortables mais où leurs liens avec les leurs et leur pays ont été tranchés dans le vif.
La journaliste biélorusse nobélisée, Svetlana Alexievitch, a récolté les témoignages d'une centaine de Tchernobyliens: liquidateurs alors aux premières loges, leurs femmes, les villageois, les mères d'enfants traumatisés ou à naître, scientifiques, photographes, maires... des témoignages sortis tout droit de l'Enfer et souvent difficilement appréhendables tant par leur caractère tellement unique que par l'horreur qu'ils décrivent.
Et l'horreur, indicible, l'est d'autant plus qu'en ces temps de soviétisme, les hommes se sont engagés corps et âme pour une patrie qui les a littéralement envoyés à la mort en toute conscience et hypocrisie, promettant des salaires et des récompenses mirobolantes à cette main d'oeuvre décimée en l'espace de cinq ans par des cancers et agonies ignobles.
Ignoble, aussi, les mensonges de l'état proclamant que tout allait bien, abandonnant les premiers jours la population aux radiations avant de les évacuer brutalement et censurant la moindre allusion à la catastrophe qui avait lieu afin de garder la tête haute face à l'ennemi que représentaient alors les Etats-Unis et l'Europe occidentale.
Dix ans après, des générations entières de Biélorusses sont traumatisées par les pertes subies et le rejet qu'ils vivent au quotidien. Certains sont revenus sur leurs terres, d'autres s'y sont installés et forment une nouvelle communauté d'exclus. Les enfants de Tchernobyl sont malades et attendent leur tour de mourir, ils ne jouent pas ou alors à faire mourir leurs poupées, ils sont incapables de rire, de se concentrer en classe, de s'amuser. Qu'en est-il aujourd'hui, en 2021? Que deviennent ces survivants qui disent avoir vu avant le reste du monde ce qui nous attend?
Ce fut une lecture bouleversante, cauchemardesque aussi, mais absolument nécessaire et je remercie Meps d'avoir initié cette lecture commune, plus facile ainsi.
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Un père de famille est appelé pour un incendie. Avec ses collègues , il mourra dans d'affreuses souffrances quelques jours plus tard à l'hôpital, le corps déchiqueté, laminé par les radiations.La centrale de Tchernobyl a explosé .
Formidable recueil de témoignages que ce livre où l'auteur donne la parole de façon quasi exhaustive à tous les protagonistes de la vie dans cette région du Nord de l'Ukraine, à deux pas de la Biélorussie.
Les témoignages sont d'une force absolue, porté par une langage simple, apte à traduire l'insouciance d'un peuple que les autorités ont mis sous cloche.
Difficile de sortir un texte plutôt qu'un autre, mais de beaucoup se dégage l'incrédulité d'une population qui a connu une guerre atroce quelques dizaines années précédemment et qui ne croit pas au danger de ces radiations invisibles. La priorité est au potager..
Le rôle des autorités dans le maintien de la population hors de la vérité est flagrant. L'une des premières mesures a été de vider les bibliothèques de tous les livres sur le nucléaire . L'explosion de la centrale ukrainienne est environ 400 fois plus puissante la bomber d'Hiroshima...
Ou encore cette mère avec son bébé malformé à qui les médecins conseillent de lancer un appel à l'international pour le soigner. Devant de telles pathologies , nul doute que la zone va servir de laboratoire géant à l'humanité.
Ou encore , les bonnes nouvelles données à la population: le vent souffle du bon coté, Kiev est épargné. Mais il souffle bien dans un sens , le vent, le sens de la Biélorussie où, plus de 25% du territoire sera gravement soumis aux radiations.
Et cet enfant qui porte le chapeau de militaire revenu de Tchernobyl et qui mourra deux ans plus tard de tumeur au cerveau.
Ce sont ces vies sacrifiées, ces militaires, ces ingénieurs, ces journalistes, cinéastes, chasseurs, instituteurs ou simples habitants qui nous racontent leur souffrance, le basculement de leur vie ce 26 Avril 86.
Le talent de l'auteur fluidifiera leurs paroles et offrira un moment poignant de lecture, un livre pour l'histoire.
Je reprocherai, d'une toute petite voix, l'absence de trame ou de cohérence à l'ordre des témoignages.Cela ne crée aucune gène mais j'ai eu du mal à saisir les différentes parties, les témoignages me semblant pouvant s'insérer aléatoirement dans le livre.
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Il y a quelques mois, Svetlana Alexievtich a reçu le prix Nobel de littérature pour «ses écrits polyphoniques, hommages à la souffrance et au courage de notre temps».

On ne connaissait pas du tout l'écrivaine biélorusse, journaliste de formation, avant ce prix, mais cela a été l'occasion de la découvrir ce qu'on a fait avec la Supplication, un de ces essais réédités par JC Lattès dans la foulée de son prix et voici ce que Michel a pensé de cet état des lieux du monde de Tchernobyl quelques années après la catastrophe de 1986:

Etat des lieux du monde de Tchernobyl quelques années après la catastrophe du 26 avril 1986, Svetlana Alexievitch fait un devoir de mémoire en rencontrant des hommes et des femmes de Tchernobyl. Chaque témoignage d'acteur direct ou indirect est important et gravé à tout jamais pour faire connaitre et se rappeler la souffrance, la peur et le sacrifice des peuples Biélorusse et Ukrainien.

Tchernobyl a tout empoisonné, l'air, la terre, les corps. La catastrophe a créé un isolement humain et broyé l'avenir.

Chaque témoignage est poignant, vrai, insupportable car Svetlana Alexievitch laisse parler des hommes et des femmes qui ouvrent leur coeur.

Un père explique qu'il est devenu aux yeux du monde « un homme de Tchernobyl » qui a perdu sa ville et sa vie.

Témoignages des compagnes des premiers pompiers arrivés sur les lieux et descriptions crues de la fin de vie de ces hommes sacrifiés, témoignages de scientifiques ou de politique complètement dépassés. Surtout que l'on n'oublie pas.

Comme Primo Levi, Soljenitsyne ou Claude Lanzman, avec ce récit, Svetlana Alexievitch réussit à nous faire entendre l'indicible en donnant la parole aux suppliciés de Tchernobyl. Ecrivain et journaliste biélorusse, elle a reçu le prix Nobel de littérature en 2015, les éditions Lattès réédite « La Supplication » paru en France en 1998. Indispensable.


Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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La catastrophe nucléaire et son horreur le 26 avril 1986 à 1h23, il fallait la plume et l'oreille bienveillante de Svetlana Alexievitch pour restituer les témoignages de toux ceux qui ont vécu ce désastre.
Svetlana prend de la distance, elle se garde de porter un jugement et c'est avec beaucoup d'humanisme, de pudeur et de compassion qu'elle nous livre une descente aux enfers. Dix après Svetlana Alexievitch se penche sur cet indicible désastre : « Trois années durant, j'ai voyagé et questionné : des travailleurs de la centrale, des anciens fonctionnaires du parti, des médecins, des soldats, des émigrants, des personnes qui se sont installés dans la zone interdite… Des hommes et des femmes de professions, destins, générations et tempéraments différents. Des croyants et de athées. Des paysans et des intellectuels. Tchernobyl est le contenu principal de leur monde. Autour d'eux et dans leur for intérieur, il empoisonne tout. Pas seulement la terre et l'eau. Tout leur temps. »
Le résultat est saisissant une série de monologues bouleversant chargés d'émotions, d'indignation, d'incompréhension, de révolte, de résilience même.
Autour de cette catastrophe le régime a non informé, non protégé la population mais a laissé régner volontairement l'opacité dans l'information : « Ce qui était encore le plus intolérable, c'était l'ignorance. On dit Tchernobyl, et on écrit Tchernobyl. Mais personne ne sait ce que c'est… »
Des mots comme irresponsabilité, inconscience, ébahissement, atrocités indicibles viennent sans cesse percuter votre esprit, la lecture est insoutenable.
Insoutenable et angoissante aussi la projection d'une telle tragédie humaine et écologique sur notre propre vie, notre environnement, notre monde.
Où allons nous ? Où nous mèneront ces monstres nucléaires ? Où nous mènera la folle et inconsciente avidité de ce monde ?
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