J'aime beaucoup
Woody Allen: son cinéma à la fois tendre et cynique, son humour à tendance métaphysique, et j'ai pris beaucoup de plaisir à lire cette autobiographie. Bien sûr, c'est un peu longuet par moments, surtout pour nous Français qui ne connaissons pas forcément tous les humoristes, auteurs, acteurs ou actrices américains dont il égrène les noms. M'ont paru un peu trop étirée la première partie, dans laquelle, après son enfance à Brooklyn il évoque ses débuts en tant qu'artiste comique, et presque trop rapide celle de la fin, où les films qu'il a réalisés dans la dernière décennie se succèdent à toute allure... Néanmoins, presque à chaque page, une formule drolatique inattendue qui "enlève " avec brio la lecture ...
Les éminents critiques du Masque et la Plume lui ont reproché de ne pas développer suffisamment sa conception du cinéma. C'est tout à fait faux. Au contraire, il la définit très clairement: inventer des histoires, encore et toujours des histoires car il se considère avant tout comme un écrivain ; soigner au maximum ses scripts, puis filmer les villes, les acteurs et les actrices qu'il aime, en laissant ces derniers libres de donner leur interprétation du rôle , sans trop s'embarrasser soi-même de technique et surtout sans leur imposer de contraintes puisqu'avec les très bons acteurs on n'est jamais déçu.
Tout en se considérant comme une "non-identity " qui n'a jamais produit de chef-d'oeuvre, se mettre dans les traces des Maîtres qu'il admire:
Tennessee Williams et Kazan, pour leur indépassable "
Un Tramway nommé désir",
Fellini, et surtout Bergman. Pour ma part j'ajouterai
Hitchcock, pour "Meurtre mystérieux à Manhattan" et ses clins d'oeil évidents à "Vertigo" et à "Fenêtre sur cour".
Les critiques du "Masque" lui ont également reproché de s'attarder très longuement sur l'accusation de pédophilie dont il est l'objet. Mais comment faire autrement ? Voilà un père tardif, mais très aimant, injustement privé de voir les enfants adoptifs ou pas auxquels il s'est attaché ( car, on l'aura compris, j'achète absolument sa version des faits, d'ailleurs corroborée par deux enquêtes judiciaires, et par une autorisation d'adoption !), bref, un "people" traîné dans la boue médiatique, soutenu en privé par ses collègues et amis mais lâché par eux sur la place publique...... comment pourrait-il ne pas tourner et retourner en boucle tous les arguments qui démontrent sa non-culpabilité dans cette histoire sordide, montée de toutes pièces par une ancienne compagne très puissante dans le monde du cinéma , histoire désormais relayée avec furie par les Passionnarias du mouvement Me-too.
Allen a dédié le livre à Soon-Yi, son épouse coréenne, fille adoptive de
Mia Farrow (" For Soon-Yi, the best. I had her eating out of my hand and then I noticed my arm was missing.” ).
Il lui consacre de nombreuses pages, et la décrit avant tout en Survivante, dont les 22 premières années, avant que ne débute leur histoire d'amour, ont été pro ou prou un cauchemar: à 5 ans elle errait dans les rues de Séoul et se nourrissait dans les poubelles; puis elle fut adoptée par Farrow, et pendant toute son adolescence fut traitée par elle en quasi-débile... Pourtant, dans le portrait énamouré qu'il dresse de ce Très Grand Amour, elle est constamment campée en femme dure, hyper-compétente dans tous les domaines, en "Dominatrix ", et le moins qu'on puisse dire est qu'il ne parvient pas à nous la rendre vraiment sympathique. [Placés dans un camp de concentration, raconte -t-il, il n'aurait pas survivre plus d'une semaine sans son éponge faciale ("my Buf-Puf") , tandis qu'elle, Soon-Yi, au bout de deux jours elle aurait convaincu la Gestapo de lui apporter son petit-déjeuner au lit...]
Mais bon, Woody : Deux minutes de sérieux, s'il vous plaît, et avec tout l'incommensurable respect que je vous dois, bien entendu:
Au secours: moi je me pince!! Où sont les charmantes fo-folles, les séductrices, les brillantes, les timbrées délicieuses qui n'ont cessé de traverser votre vie: vos deux premières épouses, d'abord, mais aussi les
Diane Keaton, les
Mariel Hemingway, - pour qui, de toute évidence, vous avez gardé une petite tendresse de derrière les fagots - et l'une ou l'autre de ces innombrables actrices que vous avez fait travailler - Emma Stone, Mira Sorvino, Scarlet Johansonn, pour ne citer qu'elles.... ?
Bon, tout ça ne regarde que vous, après tout. L'amour a ses raisons, que nous autres n'avons pas à connaître.
Mais le plus étonnant à mes yeux, c'est l'espèce de détachement, de résignation sidérale (sidérante) face à l'opprobre public, que vous affichez, cher Woody, dans cette autobiographie. Il est vrai que vous vous posez en "work-aholic ", qui soigne ses angoisses existentielles par une frénésie d'écriture. Et qui plus est en misanthrope que la lâcheté, la méchanceté de l'espèce humaine ne déçoivent jamais.
Très étonnante aussi l'humilité extrême que vous affichez, au point qu'elle en paraît presque surjouée. Car enfin, vous êtes
Woody Allen, que diable, et donc pas tout à fait le premier des quidams! Mais, sous le regard des étoiles, celui que tout naturellement vous adoptez, il est vrai que tout s'efface et s'aplatit.
Laisser un nom, une oeuvre? Cela n'a strictement aucune importance. Rester connu pour avoir été un cinéaste attachant, brillant, constamment original, ou voir sa mémoire à tout jamais flétrie par une supposée infamie?
Cela de toute façon n'est que futilité.