Etudiant, Hanson est appelé pour partir au Vietnam. Pendant les classes, lors d'une longue station au garde à vous, il voit passer des Bérets Verts. Il est aussitôt séduit par leur force tranquille, leur décontraction, furieux contraste avec ses collègues arrogants, bêtes, méchants, faibles, hantés par la peur, martyrisés et manipulés si facilement par les instructeurs. Quitte à y aller, autant être avec les meilleurs, se dit-il.
Alors que les livres consacrés à la guerre sont en général centrés sur le trouffion, celui-ci a donc pour protagoniste un jeune homme appartenant à un corps d'élite qui inspire peur et respect au sein de la grande armée américaine. Les Marines passent pour d'incompétents boys scouts à coté de ces guerriers hyper professionnels, qui prennent leur pied en tuant.
Ancien sergent dans les Forces Spéciales au Vietnam, exactement comme Hanson,
Kent Anderson nous propose d'abord une saisissante radiographie de l'armée à l'époque de la vietnamisation, quand il s'agissait de se retirer progressivement en laissant le pouvoir aux alliés, ceux à côtés desquels on est censé combattre (tiens, j'ai déjà entendu cela quelque part). Celle-ci est loin de constituer un bloc uni et indivisible. Les haines et le mépris sont tenaces entre les unités combattantes, sans parler du racisme quotidien et du manque de confiance envers l'armée du Sud Vietnam ou de la façon dont sont utilisées les ethnies montagnardes. Les meurtres entre soldats ne sont pas rares. le film "Platoon" qui avait fait sensation en montrant les dissensions au sein d'une patrouille, fait ici figure de film de campus US, tant la violence peut aller loin (cf. l'extraordinaire scène finale, celle de Quinn face à Grieson).
Autre point fort du livre, l'extrême réalisme de la vie militaire et des scènes de combats, puisque nous assistons à plusieurs types d'affrontements : patrouille de 5 hommes en reconnaissance (première et avant- dernière scènes), riposte face à une attaque de la base en pleine nuit (la scène fait écho au final de "
Un pour marquer la cadence", de
James Crumley, ami de l'auteur et préfacier du livre), accompagnement d'un bataillon de démineurs avec véhicules blindés en pleine jungle. On en apprend beaucoup sur les armes, sur la façon de se déplacer et de faire appel à l'artillerie ou à l'aide médicale, sur l'importance des moyens de transmission et enfin sur ce quelque chose en plus, cette rage des tueurs.
Anderson ne nous propose pas une belle exploration psychologisante de l'âme du guerrier US, mais il nous permet de les voir vivre, tels quels. Quinn, Silver et Hanson vivent avec la mort, ils dépouillent les cadavres éventrés comme on va aux champignons. Ils revendent les objets récupérés, car il y a un vrai marché du souvenir pour les soldats qui ne sont pas toujours au contact du feu et souhaitent ramener à la maison des indices de leur séjour. En mission, tout est simple avec 2 alternatives : tuer ou mourir. Il faut être concentré, on vit pleinement un moment extrêmement dense et on ne se pose pas de questions existentielles ou sur son avenir professionnel. Ces hommes ont également le sentiment d'appartenir à une aristocratie militaire et fraternelle, celle de ceux qui assument la mort et les mains sales, à l'inverse des politiques et des officiers sans réelle expérience du feu (voir par exemple la relation d'amitié très forte avec les Montagnards qui combattent à leurs côtés, dont ils respectent les traditions, même si Anderson n'en fait toutes une histoire en les faisant basculer dans le côté soldats New Age). D'ailleurs, quand Hanson part aux États-unis, dans le "monde réel" comme disent les soldats avec ironie, il ne s'y acclimate pas, il a envie de dézinguer ceux qui le contrarient, il ne peut pas marcher en rase campagne sans chercher un coin où se protéger en cas d'attaque. Il repartira au Nam plus rageur encore, mais en paix avec lui-même.
"
Sympathy for the Devil" m'a donné envie de lire "les
Chiens de la nuit". Hanson est désormais dans la police, sur la piste de
Kent Anderson, passé par cette étape avant de devenir prof d'Anglais et se consacrer à la littérature, pour notre grand bonheur, car c'est surtout un sacré écrivain qu'il est urgent de découvrir et faire connaître. Les dialogues sont extraordinaires, les scènes de batailles ou de bar sont racontées en alternant lyrisme et précision documentaire. La construction est également originale car elle échappe au schéma obligé de tous les récits de guerre, l'incorporation, l'attente, le premier combat, le final... Seule allusion autobiographique que je ne résiste pas à vous dévoiler. Pendant ses classes, Hanson résiste en ayant toujours avec lui des pages de poèmes qu'il parvient à lire en douce quand on les fait stationner des heures durant au garde à vous, grâce à une technique très étudiée. Ses camarades le surnomment "Pageman".
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