Envoyés dans l'espace pour coloniser une nouvelle planète, cinquante hommes et femmes se retrouvent coincés dans un véhicule en accélération constante, soumis à une distorsion de l'espace-temps telle que les années défilent comme des secondes. Comment se sortir de ce cauchemar ?
Un pitch alléchant et un auteur bien connu des amateurs de SF : il ne m'en a pas fallu plus pour tenter l'aventure. Mais la dernière ligne avalée et le livre refermé, le constat est amer : c'est un roman pas vraiment accessible doté de personnages irritants…
J'ai le vilain défaut d'être une littéraire pur jus. J'ai passé ma scolarité à subir mes cours de sciences et de mathématiques et
Tau Zéro m'a littéralement propulsée dans mes failles : de grands paragraphes « explicatifs » (mais « obscurs » est un terme que j'appliquerais plus volontiers) sur les différentes forces cosmiques ont failli me faire lâcher prise plusieurs fois. Cependant, j'ai persévéré et j'ai compris ce que je pouvais survoler ces paragraphes sans perdre en compréhension de l'histoire. Partant de là, je pensais que les difficultés étaient derrière moi. Que nenni !
Cinquante hommes et femmes, ça fait beaucoup de prénoms à retenir. Sachant qu'il y a toutes les origines, ainsi que des fonctions très variées au sein de ce microcosme. Et pas de listes détaillée en fin d'ouvrage – il ne me semble pas que cela se faisait, autrefois. « Autrefois » parce que ce texte date des années 70 – tout comme le Crépuscule de Briareus, que j'ai lu récemment. Mais contrairement à ce dernier,
Tau Zéro a vieilli – surtout en ce qui concerne la représentation des femmes, ce qui est très horripilant et paradoxalement encourageant…
Je n'ai pas pu m'empêcher de prendre en photos des pages entières de citations sexistes et humiliantes, mais banalisées. Je ne compte plus les scènes où deux mâles se battent pour l'une d'entre elles, où la parole leur est coupée, où elles sont infantilisées, où leurs compétences sont minimisées... J'étais choquée, mais le fait que je me sente choquée me donne beaucoup d'espoir pour l'avenir. Car ce qui était banal autrefois ferait bondir n'importe qui aujourd'hui. Les mentalités changent, mais on a le nez dans le guidon, c'est dur de s'en rendre compte.
Je ne résiste pas au plaisir de vous livrer quelques unes de ces situations ubuesques (avant toute chose, je rappelle que tous les membres de cette expédition sont triés sur le volet, sélectionnés pour leur intelligence et leur mental et que chacun et chacune est supposé être conscient de la haute dangerosité de cette mission) :
p.190 : « C'est une femme encore jeune. Si notre situation l'a… comment diras-je ?… bouleversée outre mesure, elle réagirait sans doute de façon irrationnelle à tout ce qui lui rappelle la mort et le vieillissement. […] Si vous voulez mon avis, c'est la perspective de mourir sans avoir été mère qui l'horrifie. Avant, elle n'arrêtait pas de chercher des prénoms pour la tripotée de gosses qu'elle comptait engendrer. »
p. 151-152 : « — Dans les conditions d'un duel, vous m'auriez perforé le poumon. Je vous déclare reçue à l'examen.
— Ce n'est pas trop tôt, haleta-t-elle. Dans… une minute… j'aurais été… à bout de souffle. J'ai les jambes qui flageolent.
[...]
— Vous auriez moins de peine en affrontant une autre femme, déclara Freiwald. Il faudrait en recruter le plus possible.
— Quoi ? Vous voulez que je joue les profs, moi une débutante ?
— Je continuerai à vous entraîner. Comme ça, vous aurez une longueur d'avance sur vos élèves. Pour moi, c'est priorité aux hommes, comprenez-le. »
p. 130 (après un violent impact) : « — J'ai l'impression que des charpentiers jouent du marteau dans mon crâne, protesta le machiniste.
— Vous vous êtes porté volontaire. Je croyais que vous étiez un homme.
Freiwald gratifia Reymont d'un regard furibond mais se leva. »
Je voudrais poursuivre avec ma plus grande frustration dans ce récit : Charles – Carl – Raymont, le personnage le plus proche d'un protagoniste. Carl, c'est le gendarme de l'équipe et (je crois) le seul Américain. Un cowboy pur jus, une arme à la ceinture, un oeil méfiant vissé sur ses camarades. « Mais il faut le comprendre, c'est parce qu'il a souffert et qu'il a vu des choses horribles... » Ça n'excuse pas. Quand on sait qu'on a des traumas, on se prend en charge et on se fait soigner.
Charles, c'est l'archétype du mâle toxique : il interdit, régente, ordonne, écarte le capitaine (seule personne à être habilitée à exercer de l'autorité) et dame le pion à sa seconde (qui, normalement, devrait prendre la place de son supérieur en cas de problème, mais comme c'est une femme elle est sans doute très contente de ne pas avoir de responsabilités). Un personnage imbattable, qui domine n'importe qui en combat singulier, mais qui a tellement toujours raison qu'il peut apprendre leur propre métier à des chercheurs en astronomie. Évidemment, toutes les femmes se l'arrachent (ces femelles dominées par leurs hormones, vraiment…), et il a une nette tendance à se montrer condescendant envers les personnes qu'il considère inférieures (les femmes, donc, mais aussi les mauviettes qui ne sont pas d'accord avec lui : « Tu n'as donc pas de tripes ? »). L'auteur parvient à lui accorder plus de nuance au fur et à mesure du récit, car son rôle s'avère plus riche qu'il n'en a l'air (heureusement). Mais malgré tout, en ce qui me concerne, les justifications de ses actes arrivent bien trop tard et je n'ai pas réussi à lui pardonner son attitude.
Et j'aimerais terminer sur un petit coup de gueule.
On nous présente ce roman comme étant un ouvrage très proche de la réalité scientifique. MAIS…
il faut m'expliquer comment un vaisseau de fabrication humaine peut supporter une explosion aussi intense que le BIG BANG. Avec toute la pression et la chaleur accumulées en amont, qui sont infiniment supérieures à tout ce qu'on peut imaginer… Et avec tout un patacaisse de radiations ultra intenses, aucun passager n'aurait dû survivre, même dans le cas improbable où le vaisseau aurait pu supporter une pression aussi intense.
C'est donc un rendez-vous manqué pour moi. L'histoire reste intéressante, mais l'écriture n'était vraiment pas extraordinaire (la faute à la traduction ?), je ne me suis pas attachée aux personnages et j'ai du mal à ne pas être irritée par toutes les situations sexistes.