"D'Ivoire, de singes et de paons" (1983) :
Cette nouvelle aurait pu et aurait dû être géniale, mais l'auteur n'exploite pas pleinement tous ses ingrédients....
Des chronoterroristes ont faut sauter un temple dans la ville de Tyr, événement interprété par les locaux comme un épisode de mécontentement divin, et menace de faire sauter toute la cité si on ne leur remet aux coordonnées spatio-temporelles indiquées un transmutateur de matière... Manse Everard est envoyé sur place pour enquêter, mais malgré toutes ses précautions est attaqué dès son arrivée dans la Cité-Etat phénicienne par un assassin venu du futur !
Comme tout le sait une bonne histoire nécessite un bon méchant, et ici on oppose à
la Patrouille du Temps les Exaltationnistes, des criminels eugénistes et suprématistes sans autre foi et sans autre loi que celle du plus fort ! On assiste ainsi à un duel à distance entre Manse Everard et Merau Varagan : c'est Sherlock Holmes contre Moriarty, c'est Kirk contre Khan dans "Star Strek", c'est Ravenor contre Zygmunt Molotch dans "Warhammer 40000"... sauf que cela n'est exploité que dans le flashback consacré au maraboutage de
Simon Bolivar dans l'Amérique latine du XIXe siècle (le super-vilain ayant essayé de transformer le libérateur en dictateur), et que le récit se limite à une enquête, un infiltration et un arrestation sans guère d'action !
Les terroristes temporels peuvent frapper n'importe où et n'importe quand, et les flics temporels peuvent intervenir n'importe où et n'importe quand sauf qu'ils risquent de provoquer ce qu'ils veulent empêcher (à savoir un modification du continuum espace-temps). Mais comme les premiers ne peuvent agir sans avoir reconnu le temps, il revient aux seconds d'enquêter pour trouver les indices permettant en remontant le temps de les arrête à point nommé !
Avec ce récit comprends pourquoi
Poul Anderson était un admirateur de
R.E. Howard : comme lui il parvient à ressusciter une époque et son ambiance en quelques lignes, et c'est un véritable bonheur de déambuler parmi les habitants d'une civilisation depuis longtemps disparue. Par contre Manse Everard est plus que jamais le Gary Stu de l'auteur : l'action man perd en crédibilité à force de citer les classique de la poésie à tout bout de champ, et comme dans les romans d'aventure vintage bourré de paternalisme colonial il agit systématiquement en bon samaritain en prenant sous son aile l'orphelin Pummairam (remember "
Kim" de "
Rudyard Kipling" ^^), la jeune bergère Sarai et l'esclave de chambre Bronwen... Comme dans la nouvelle "Le Grand Roi", il hésite sans cesse entre cheering et bashing : d'un côté il décrit un civilisation libérale et progressiste qui aurait été indispensable au développement des civilisations grecque (la démocratie) et juive (le monothéisme), mais d'un autre côté il enfile comme des perles moult clichés péjoratifs sur les Orientaux... Je veux bien pardonner les stéréotypes dixneuvièmiste sur les Celtes (même si en 1983 ça commence à dater ce genre de conneries hein), je veux bien pardonner ses théories biaisées qui font des peuples de la mer des proto-vikings de la fin de l'âge du bronze, mais on se serait vraiment bien passé des digressions libertariennes qui personnellement m'ont sorti de la belle ambiance antiquisante car à plusieurs reprises on frôle le WTF ! (genre quand le héros annonce adorer l'antiquité parce qu'au moins les cadeaux ne sont pas taxés comme au XXe siècle : s'il voulait critiquer la TVA comme sous-produit de l'Etat-Providence, il raconte vraiment que des bullshits)
"Le Chagrin d'Odin le Goth" (1983) :
Carl Farness est un érudit chrononaute travaillant pour
la Patrouille du Temps, spécialisé dans la protohistoire des peuples germaniques. Dans les brumes qui séparent la Basse Antiquité du Haut Moyen-Âge, il veut utiliser la mythologie comparée pour faire le lien entre la saga des Niebelungen et les chroniques historiques de Jordanès pour étudier l'ethnogenèse et l'ethnologie des peuples goths. Il parcourt donc les terres d'Europe de l'Est tel Gandalf le Gris arpentant les Terres du Milieu, en ne détrompant personne quand on le prend pour le Dieu Voyageur... Sauf qu'il n'est pas agent de terrain et que le coeur a des raisons que la raison ignore : partagé en Laurie son épouse du XXe siècle et Jorith sa compagne des Âges Obscurs il finit par agir ou lieu d'observer prendre parti pour son sujet d'étude dans la légende des siècles, et influer sur la destinée de ses protégés en transformant leur histoire et leur mémoire, leur religion et leur mythologie (car comme Zeus n'était pas le roi des dieu dans les croyances grecques les plus anciennes, Odin / Wotan n'était pas le roi des dieu dans les croyances germaniques les plus anciennes). Tout cela oblige Manse Evevard à venir le coacher pour essayer de réparer ce qui peut encore l'être avant de détraquer le continuum espace-temps !
Ce voyage dans la protohistoire germanique par le biais de la mythologie est passionnant, et m'a rappelé à mes meilleurs souvenirs de
JRR Tolkien (ah, chevaucher avec les cavaliers du Rohan ! ^^) : nous suivons avec sympathie puis empathie Carl Farness qui à chaque génération vient en aide ses enfants, avant que
la Patrouille du Temps ne l'oblige à boucler la boucle mythologique pour éviter le paradoxe spatio-temporel en oeuvrant au massacre de sa descendance !
La
Science-Fiction est ici mise au service de tout le pathos des grandes tragédies mythologiques, et
Poul Anderson s'incarne ici davantage en Carl qu'en Manse avec son infinie passion pour les yeomen anglo-saxons. Enfant d'immigrés scandinaves ayant vécu une partie de son enfance en Scandinavie durant l'entre-deux-guerres, il dépeint les heurs et malheurs de ses créations durant l'époque des grandes migrations. Nous faisons face à un grand récit et on se demanderait presque s'il ne s'est pas inspiré de l'iconoclaste "
Voici l'Homme" de
Michael Moorcock (qui était un fan de
Poul Anderson, soit dit en passant ^^) dans lequel Karl Glogauer interne en psychiatrie partait à bord d'un TARDIS à la recherche de Jésus Christ !
Malheureusement, il est resté un WTF libertarien qui m'est resté en travers de la gorge, dans lequel l'auteur explique combien il faisait bon vivre aux États-Unis dans les années 1930 avant l'avènement de la Bête Immonde qu'aurait été l'Etat-Providence... Il semble n'avoir jamais vu "Les Raisins de la colère" et "Les Temps Modernes" : en bon idéologue il est dans le déni de la réalité en ignorant le chômage pandémique, la pauvreté galopante et les files interminables à la soupe populaire dans toutes villes d'Amérique ! Et plus les choses changent et plus elles restent les mêmes puisqu'aujourd'hui politicards, banksters, patrons voyous et médias prestitués clament haut et fort que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes dans un pays prétendument phare de la civilisation où ¼ de la population vit sous le seuil de pauvreté !!!
"La Mort et le Chevalier" (1995) :
Chronologiquement, il s'agit du dernier récit consacré à
la Patrouille du Temps : l'histoire est courte et simple en nous racontant un opération d'exfiltration spatio-temporelle menée par ce bon vieux Manse Everard !
Hugh Marlow est un agent de terrain chargé d'observer l'institution des Templiers, autorisé à divulger des informations sensibles sur la passé, le présent et l'avenir pour monter en grade et mieux exercer son métier... Mais en nouant un relation intime avec Foulques de Buchy, il en divulgue un peu trop sur l'oreiller ! Car nous sommes à la veille de l'extermination de l'ordre par Philippe IV le Bel, sur accusation de sorcellerie et sodomie, et pour sauve son ordre Foulques de Buchy est prêt à livrer son amant à la justice royale.
La Patrouille du Temps ne peut pas sauver les Templiers déjà condamnés par
L Histoire, mais délivrer et/ou tuer son agent avant qu'il ne tombe entre les mains de la monarchie française.
C'est un peu moins bien que d'habitude, mais la nouvelle se lit bien quand même. Quel dommage que l'auteur exploite pas ou peu la tragédie des amants maudits, pour développer entre les lignes son idéologie libertarienne : les Templiers aurait été une pépinière d'entreprise médiévale, ayant pour héritiers les Francs-Maçons et les États-Unis d'Amérique paradis capitaliste, alors que le sinistre Philippe IV le Bel aurait eu lui pour héritiers Napoléon et Staline ces vils bureaucrates étatistes leaders d'enfers communistes... Nous sommes donc bien dans l'idéologie car aucun historien ne peut ignorer que l'Angleterre d'Édouard II le Sec était bien plus étatiste, bureaucratique et oppressive que ne le fut jamais la France de Philippe IV le Bel !