La vie intérieure

Voilà pourquoi il serait à mon sens bien dommage de ne pas cultiver un art de la vie intérieure aux cabinets. Il convient évidemment de ne surtout pas y téléphoner ; mais aussi de choisir de ne pas y lire ! Se contenter de ressentir, de réfléchir, de savourer cet instant de pause, loin du tumulte du monde. Se réjouir de disposer d'un corps, un corps capable de tirer tout seul le meilleur de ce que nous lui offrons à manger et à boire, et d'en restituer ensuite la part inutile. Après tout, notre vie intérieure dépend aussi de ce corps, du soin que nous lui accordons, du bien-être que nous lui permettons.

Ne cherchons pas à bannir la honte de notre vie intérieure. N'ayons pas peur de la ressentir : elle peut être l'aiguillon qui nous contraint à nous pencher sue nos erreurs. Cherchons juste à ne pas lui permettre de nous dominer durablement, et à ne pas l'infliger à autrui.

La honte est une blessure de l'estime de soi ...

L'intelligence de la vie, c'est d'accueillir tous les plaisirs, sans les hiérarchiser, et toujours s'en réjouir.

La conscience de notre fragilité nous permet de garder en nous la conscience de tous les dangers, pour mieux nous y préparer ; mais seulement en arrière-plan, pendant que la quête du bonheur est au-devant de la scène. Surtout, ne pas oublier de vivre et de savourer. Car quoi qu'il arrive, n'est-ce pas merveilleux d'exister, même fragile, plutôt que de ne pas exister ?

Et puis il y a le silence, qui est à la musique ce que l'ombre est à la lumière, ou plutôt ce que la nuit est au jour.

Les humains d'aujourd'hui acquièrent, peu à peu, une conscience écologique : le moindre sac plastique que nous jetons est un mal ; et le moindre sac que nous ramassons, un bien. Le même argument vaut pour développer une conscience compassionnelle : nous sommes responsables de la propagation de la compassion, de la gentillesse et de la douceur par nos attitudes quotidiennes. Nous sommes, chacune et chacun, en charge du climat humain qui règne sur cette Terre. Les ressentis de compassion favorisent les sociétés meilleures et plus humaines.

Quand on repose le livre

De fait, le moment le plus important est peut-être celui où l'on repose le livre ! Le moment où l'assimilation du texte commence. Car lire c'est nourrir son esprit et son âme : on s'occupe simplement de s'alimenter, puis digérer, cela se fait tout seul ! On peut alors passer à autre chose, comme le recommande Gide, en exergue de ses Nourritures terrestres : "Que mon livre t'enseigne à t'intéresser plus à toi qu'à lui-même, puis à tout le reste plus qu'à toi."
Car ni la fréquentation de notre vie intérieure, ni celle des auteurs que nous aimons, ne sont une fin en soi. Il ne s'agit que de détours féconds, pour revenir ensuite vers le monde, pour mieux l'aimer et l'admirer....

La musique se définit comme l'art des sons. Fluide, immatérielle, impalpable, on ne peut ni la voir ni la saisir. Seulement se soumettre à elle, la suivre et l'accueillir en nous.
Ses liens avec la vie intérieure sont très étroits : de tous les arts classiques (si l'on excepte le cinéma, qui en fait grand usage), elle est celui qui possède le plus grand pouvoir d'induction émotionnelle...Une musique peut nous rendre gais ou mélancoliques,bien plus vite et bien plus fort qu'une peinture ou une lecture.Car elle s'adresse directement à nos émotions, sans avoir besoin de parler ou de signifier...comme le constatait Balzac : " La musique seule a la puissance de nous faire rentrer en nous-mêmes..."

" Fou celui qui se croit à l'abri. Je ne cherche pas un abri. Ce ne serait qu'un endroit pour y mourir sans bruit. Je cherche ce qui arrive quand on est plus protégé et qu'on a plus peur de rien " Christian Bobin - La fragilité