L'entrain communicatif de la jeunesse
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Ce tome est le premier d'une série indépendante de toute autre, et peut se suffire à lui-même en tant que première saison. Il regroupe les épisodes 1 à 5, initialement parus en 2020/2021, écrits, dessinés et encrés par
Kaare Andrews, avec une mise en couleurs réalisée par
Brian Reber. Andrews est un auteur assez éclectique, ayant précédemment réalisé Spider-Man: Reign (2007), Iron Fist: The Living Weapon (2014), Renato Jones (2016).
Oliver Leif est un préadolescent d'une dizaine d'années et il dispose de superpouvoirs extraordinaires qui ne durent qu'une dizaine de minutes chaque jour. Il lui faut ensuite le temps de se recharger. Il lui reste 15 secondes de pouvoir pour sauver sa copine en chute libre entre les gratte-ciels. Il y a quelques semaines sa mère l'emmené avec Casper son frère ainé dans leur nouvelle école High School à Mapleton, après avoir déménagé. Comme à son habitude, Casper se fait des copains au premier coup d'oeil, avec sa carrure d'athlète, alors qu'Oliver est tout de suite la cible d'un groupe d'élève ou d'un autre. Il se fait aborder par Kristen Smith, la meneuse des filles de sa section, et perd quelques pages de son cahier de dessin. Elle en ramasse une et constate qu'il dessine des guerrières avec une épée dans une tenue très révélatrice. Il prend la poudre d'escampette tête baissé et fonce droit dans une professeure qui se révèle être Ms. Tug, sa prof de mathématiques. Dans les couloirs du bahut, Casper est tout de suite repéré et reçoit une proposition pour intégrer l'équipe de football de l'établissement. Oliver est abordé par Beej (surnom de Bijou) qui le met au parfum des différents clans. En se rendant vers la salle de classe, ils passent devant le mur avec les photographies de dix élèves s'étant retrouvé aux infos, et ils croisent Mabel, une sympathique jeune fille.
Oliver s'assoit en classe et constate qu'il a en face de lui Ms. Tug, et qu'elle commence son cours de maths par expliquer le sens social du mot oppression, qu'elle ne tolèrera aucune pensée libre, et qu'elle va commencer par un cours sur les structures du monde. Cours suivant : sciences physiques. le prof explique qu'il n'attribuera pas de notes cette année, et que seules comptent les expériences. le cours suivant est celui de littérature, et la professeure Karyn commence par une étreinte avec le nouveau, le serrent fort contre sa poitrine. Enfin arrive le cours de sciences sociales, et Marquez explique qu'il va leur apprendre à devenir de bons citoyens, c'est-à-dire des citoyens qui font preuve de compassion, de sens du partage, qui s'élèvent contre la tyrannie et qui font un front uni. Il demande à Kristen Smith quelle bonne action elle a accomplie aujourd'hui. Elle répond qu'elle n'est pas sûre d'avoir compris la question car elle ne sait comment définir ce qui est bon. Marquez la remet à sa place avec une moquerie. Oliver intervient pour dire que ce n'est pas si simple. le prof le punit : il doit rester après le cours pour rédiger ses idées.
Encore un nouveau superhéros comme l'industrie américaine des comics en produit à la pelle chaque mois, et qui ne bénéficie même pas de la richesse d'un univers partagé. D'un autre côté, l'auteur a déjà réalisé des histoires remarquables que ce soit dans le genre superhéros crépusculaire avec Peter Parker âgé, superhéros noir, intense et psychologique, ou encore un grand défouloir contre les l'élite planétaire des super-riches. le lecteur se lance dans sa lecture, et constate que Andrews s'adresse à un public jeune. Son héros a une dizaine d'années, et le milieu de la High School est très prégnant. L'auteur met donc en oeuvre les conventions de ce genre très codifié : les clans et coteries fermées avec leur rite d'accession et leurs rivalités, les cours forcément barbants avec des professeurs qui viennent soit pour toucher leur maigre paye, soit pour promouvoir leurs idées souvent très personnelles, sans oublier l'importance donnée au sport, le harcèlement des persécuteurs, et les difficultés relationnelles avec les représentants de l'autre sexe. Tout cela reste léger car la puberté n'a pas encore opéré sa mainmise le cerveau empêchant toute réflexion, et le ton reste humoristique, sans dramatisation. Heureusement parce que l'auteur a la main lourde avec Oliver & Casper : leur père est aux abonnés absents depuis plusieurs années, leur mère est chômage et elle a une petite faiblesse pour la bouteille. En outre elle a fait déménager la petite cellule familiale pour un emploi dans cette nouvelle ville, pour lequel elle a versé une avance, et elle constate l'arnaque dès le premier jour.
Impossible de ne pas ressentir un élan de sympathie pour ce garçon, vaguement sarcastique sans être cynique, gentil et plein de bonne volonté, souhaitant aider les autres avec ses superpouvoirs, et se faisant manipuler à la fois par sa camarade de classe Kristen qui ne voit en lui qu'une belle opportunité de se faire briller, par exemple en postant une vidéo de lui en action sur les réseaux sociaux. Impossible également de ne pas se laisser gagner par la bonne humeur qui émane du sourire des uns et des autres, et par l'énergie que déploient plusieurs personnages. Kristen est fraîche et pimpante, toujours dynamique, en permanence en train de réfléchir à comment tirer profit de la situation. L'artiste parvient à conserver un corps de jeune fille à peine formée, sans la sexualiser, tout en lui donnant un remarquable potentiel de séduction. Il en va de même pour Mabel, dans un style complètement différent avec sa tenue de jeune rebelle et ses piercings à l'oreille, sa mèche de couleur. le lecteur voit des presque adolescents se conduisant comme tels, tout en ayant déjà bien maîtrisé une partie des codes vestimentaires des adolescents et parfois des adultes, ainsi que des répliques copiées sur celles des adultes, la méchanceté et l'acrimonie en moins, ce qui les rend beaucoup plus agréables à fréquenter.
Du coup, indépendamment de son âge, le lecteur se retrouve à ressentir de l'empathie pour ce garçon, qu'il ait son âge et se reconnaisse dans certaines difficultés de la vie quotidienne, ou qu'il soit plus âgé et qu'il s'amuse de ce que l'auteur lui fait subir, et du comportement peu reluisant des adultes. Il y a bien sûr la maman souriante et aimante, mais éprouvant de réelles difficultés à assumer ses responsabilités, et se conduisant parfois de manière immature, elle aussi souvent souriante même dans l'adversité. Il faut la voir ramener un nouveau compagnon à la maison devant ses enfants : une scène inoubliable, en particulier quand le monsieur découvre que justement elle a des enfants. La bande de professeurs prête à sourire car l'artiste leur donne une apparence inoubliable à commencer par le professeur aux idées ouvertement communistes, prônant le collectif, mais pas en tant qu'équipe sportive. Il dispose d'une forte carrure, avec un surpoids, de très belles moustaches de vilain d'opérette, et une propension systématique à se comporter de manière théâtrale. Ms. Tug est massive avec une mine toujours renfrognée. Karyn se montre enjouée et contente en toutes circonstances, avec force étreinte, ce qui finit par générer un malaise en face d'un tel élan positif déconnecté de toute réalité.
Comme on peut l'attendre de
Kaare Andrews, les scènes de superhéros crépitent d'énergie dans tous les sens, d'acrobaties magnifiques, sans s'éterniser, avec une mise en couleurs qui tire le meilleur parti des effets spéciaux à l'infographie. D'une manière générale, l'artiste s'est fortement investi dans chaque page et chaque case, que ce soit pour les mises en scène, les cadrages, la représentation des décors avec une utilisation discrète et opportune d'inserts photographiques. le lecteur ne retrouve que rarement ses caractéristiques graphiques qu'il avait développées pour ses récits plus adultes, tenant ainsi à distance une noirceur trop adulte, et une violence trop graphique. Il ne faut donc pas beaucoup de pages, pour que le lecteur de tout âge se retrouve immergé dans le récit. L'intrigue n'est pas très complexe, ni très originale, mais elle tient en haleine. L'auteur entremêle plusieurs fils : l'intégration d'Oliver dans sa nouvelle école, la façon bien à elle que Kristen a de montrer qu'il l'intéresse et les potentielles conséquences, l'origine des pouvoirs de E-Ratic (question qui reste en suspens), ce que le docteur Peters sait des pouvoirs d'Oliver, la provenance des ennemis qui manipulent une énergie identique à celle de E-Ratic, la prise de pouvoirs de Marquez au sein de l'établissement et son mystérieux pouvoir, sans oublier le retour d'Allie Turner, une élève que tout le monde croyait morte. le scénariste sait mettre en oeuvre la logique du collectivisme autrement que comme une caricature bas du front du communisme, privilégiant plutôt le principe du gommage des caractéristiques individuelles au profit de l'identité du groupe. Pour faire bonne mesure, il évoque les fantasmes sur l'énergie que Nicola Tesla aurait découverte.
A priori, le lecteur peut être attiré par la couverture colorée et énergétique, ou par l'identité de l'auteur, tout en redoutant un succédané de superhéros inutile et insipide. Il prend vite goût à la tonalité de la narration qui dédramatise les situations sans pour autant les vider de leur tension. Il s'attache très rapidement à Oliver Leif et prend plaisir à découvrir ses déconvenues, et à le voir triompher dans l'action. Il espère bien qu'il y aura un deuxième tome.