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Phillipe Annocque avait mis la barre tellement haut avec l'excellent "Pas Liev" (chez Quidam) qu'il doit être dans ses petits souliers pour la sortie d'"Élise et Lise" : qu'il se rassure ! C'est encore un très bon texte qu'il nous offre là, de ceux sur lesquels on peut avancer différentes interprétations, proposer des lectures plurielles (n'est-ce pas le signe d'un grand texte ?) et comme j'adore débattre sur ce que j'ai lu, alors c'est parfait ! Parce qu'il y a de quoi faire…
Le sujet ? Élise et Lise a pour sous-titre « Un conte sans fées ». On est prévenu. Essentiellement, quatre personnages : Élise qui serait, selon les catégories proposées par Vladimir Propp dans "Morphologie du conte", l'héroïne ou la princesse. D'ailleurs, elle est gentille Elise, oui, elle est bien gentille…
Puis vient Lise, ah Lise… personnage bien complexe, est-elle la fausse héroïne, la méchante ou au contraire celle qui aide la princesse, qui veut la sauver du désastre (mais de quel désastre ?), une espèce d'adjuvant ? Tout va dépendre de votre lecture de l'oeuvre, il faudra que l'on en reparle…
Luc, c'est le prince, un peu pâlot, un prince quoi, « un peu cucul » avec « un joli cul ». Mais à qui est le « joli cul » de Luc ?
La dernière, Sarah, elle n'est rien, enfin, elle est dans l'histoire sans être dans l'histoire. Elle est celle qui voit les choses de loin « parce que quand on a trop le nez dessus on ne voit pas. » « Dans les contes, elle était le conteur, ou le public, ou la grand-mère qui autrefois avait raconté l'histoire et qui ne se souvenait plus exactement comment elle se terminait. Mais elle n'était pas un personnage. » Elle raconte, commente, elle suit les cours de madame Roger sur Propp, alors elle dit des choses dessus parce qu'elle a bien compris que dans un conte « les personnages… représentent des fonctions ». (Moi, Sarah, je la vois comme quelqu'un de très sérieux, qui prend des notes et apprend ses cours.)
Sarah cherche-t-elle à y voir plus clair sur ce qu'elle observe dans le réel (si réel il y a) grâce aux cours de madame Roger ? En tout cas, elle sent les choses et elle dit très justement : « Quand on lit un conte, on lit une histoire et on a l'impression que l'histoire raconte autre chose que ce qu'elle raconte. » D'où peut-être ce que je vous disais tout à l'heure : tenez, je suis sûre que l'on serait quatre ou dix ou vingt à lire la délicieuse page 99, on aurait autant d'analyses différentes…
En tout cas, c'est un personnage très sage, Sarah, d'autant plus sage qu'elle n'est pas concernée par l'histoire et puis, elle n'impose aucune vision des choses, elle a compris qu' « on n'est jamais sûr de rien. » Et en cela, elle a raison, non ? D'ailleurs, je crois que l'auteur, lui-même, « n'aime pas les romans qui disent comment les choses se sont passées. » Là, on est servi : personne n'en sait rien… C'est un peu flou…
Alors, sur les bancs de la fac, Lise repère Élise. Lise aimerait porter les mêmes vêtements qu'elle, je veux dire qu'Élise, alors elle va dans les boutiques, elle cherche, elle cherche des vêtements qui pourraient ressembler à ceux d'Élise. Pour lui ressembler un peu, qu'est-ce qu'elle ne ferait pas, Lise ? Ce n'est pas simple de savoir qui l'on est. (Ah, l'éternelle question de l'identité !) Donc, on peut résumer ça un peu comme ça : Lise « savait ce qu'elle voulait. Et ce qu'elle voulait, elle le voulait. »
Un jour, elle décide de s'installer à la place d'Élise dans l'amphi, en se disant qu'Élise viendrait s'asseoir pas loin. Mais c'est un garçon qui prend la place réservée à Élise. Ce n'est donc pas ce jour-là qu'elles feront connaissance. Elles finiront bien par se rencontrer car « leur amitié était plutôt de l'ordre de l'évidence ». « Évidence » parce qu'elles s'entendent parfaitement, « évidence » aussi parce que nous sommes dans un conte, je vous le rappelle, et si les deux personnages principaux ne se croisent pas, il n'y a pas d'histoire.
Sarah, celle qui ne compte pas et qui observe de loin le manège (de Lise ?) se dit que personne n'a intérêt dorénavant à s'approcher d'Élise parce que Lise a un regard, comment dire… méchant, un regard qui fait un peu peur …
D'ailleurs, sur une belle page blanche, reviennent régulièrement dans le livre ces mots, comme un refrain inquiétant, une vague menace qui plane : « Élise prend l'air. L'air prend Élise. Tout cet air, ce souffle qui la traverse. Élise ne comprend pas. de quoi a-t-elle peur ? » Tiens, a-t-on subrepticement quitté le conte pour sa forme contemporaine, le thriller ? D'ailleurs, Élise a-t-elle peur ? Et de qui aurait-elle peur ? de Lise ? Qui l'aime tant ? Mais Lise l'aime-t-elle tant ? Mais qui est Lise ? Que veut-elle ? Sait-on ce que veulent les gens ? Et quand les gens sont des personnages de conte qui obéissent à une fonction, peut-on leur en vouloir d'être ce qu'ils sont ou ce qu'ils ne veulent plus être ? Ont-ils le choix ? Au fond, ne sont-ils pas que des marionnettes dont on se sert pour dire… pour dire quoi au fond ?
A moins que ce ne soit l'inverse, ce sont des gens, bien réels, qui semblent un brin déterminés, comme programmés. le destin peut-être… Attention aux mots, certains font peur…
Quand je vous disais que tout cela n'était pas simple…
Et puis, avec tout ça, j'oublie de vous parler de l'écriture de Philippe Annocque : c'est une écriture qui tente une approche du réel mais qui se heurte à ce réel, trop complexe, une écriture serrée, de la reprise, de la correction, une écriture luttant pour, et renonçant à la fois à, préciser le mieux possible la nuance de la pensée, de l'émotion, du sentiment, et ce, en suivant le flux incertain et approximatif de la conscience ou de la parole du personnage.
Un exemple simple : le jeu des pronoms, la terrible indétermination des pronoms (le pire, c'est « lui », féminin et masculin) qui nous feraient prendre l'une pour l'autre (ou l'inverse - non je plaisante…)
Et puis, du point de vue des sonorités, ça sonne plutôt bien tout ça, c'est assez beau à entendre ces Élise, Lise et elle, ce l liquide, ça coule, comme de l'eau qui dort avant de se répandre un peu partout, insidieusement j'allais dire… C'est dans l'eau que l'on naît et que l'on se noie, ne l'oublions pas.
Et, ces mots, ces mots qui n'ont l'air de rien, qui semblent être dits en passant, comme ça et qui portent en eux l'essentiel, signifiant bien « au-delà » de ce qu'ils sont censés exprimer…
J'avoue que je lis sur la dernière page du roman ce qui n'est pas écrit, je m'y autorise. C'est tentant…
Allez, ne perdez pas de temps, courez vous procurer Lise et Élise, ah non, pardon, Élise et Lise, (tiens, comme Sarah, je me mets à confondre, c'est grave docteur ?)
Il faut absolument que l'on discute de tout cela. Absolument !

Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
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Des amies, un amoureux, des fringues. C'est apparemment simple, léger, banal, voire un peu « girly ». Pourtant, le malaise s'installe rapidement et ne cesse de grandir. On sent qu'il va se passer quelque chose mais quoi ? Finalement, on arrive à la fin du livre et on se demande « Que s'est-il passé ? ».

Les points de vue de quatre personnages alternent. En même temps, on ne sait pas grand-chose de ce qu'ils pensent et ressentent. Ils restent distants, un peu étrangers, peut-être étrangers à eux-mêmes d'ailleurs. Et puis ça serait quand même plus simple si c'était écrit à la première personne mais non, c'est écrit à la troisième personne. Alors, on n'est jamais tout à fait sûr de qui est qui, de qui est avec qui, de qui parle de qui. Philippe Annocque joue merveilleusement avec les pronoms, les effets d'homophonie, les répétitions, les échos du point de vue d'un personnage à l'autre. Il y aussi cet inquiétant leitmotiv qui tourne en boucle comme ces formules qui reviennent dans les contes.

Entre fusion et confusion, les jeux de double se multiplient. Les deux amies ont presque le même prénom, elles sont presque pareilles mais pas tout à fait. On a aussi deux versions du même conte qui sont presque pareilles mais pas tout à fait. L'histoire des deux amies ressemble enfin presque aux contes qu'analyse Sarah mais pas tout à fait. Ou alors c'est l'inverse, ce sont les contes qui ressemblent à l'histoire des deux amies.

Il est sans doute question d'identité dans ce livre. Il est aussi question de désir. En tout cas, cela me rappelle la théorie du désir mimétique (le fameux triangle) de René Girard. Il reste à savoir quel est exactement ici l'obscur objet du désir…
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La belle et terrifiante morphologie du conte de la consommation mimétique.

Sur mon blog : https://charybde2.wordpress.com/2017/02/14/note-de-lecture-elise-et-lise-philippe-annocque/
Lien : http://charybde2.wordpress.c..
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« Élise et Lise », « Élise et Lise », « Élise et Lise »… On pourrait croire que je me répète mais non, comme tous les livres de Philippe Annocque, « Élise et Lise » est pluriel, multiple, il semble offrir une infinité de lectures possibles. C'est ce qui m'a sauté aux yeux une fois le livre refermé et découvrant petit à petit, les interprétations d'autres lecteurs, si différentes de la mienne. Je ne sais si c'est à cela que l'on reconnaît la richesse d'un roman mais je vous avoue que cela m'impressionne drôlement et colle bien avec un leitmotiv de l'auteur : « On n'est jamais sûr de rien. »

« Élise et Lise » est un conte, une variation sur deux contes de Grimm (« La gardeuse d'oie » et « Les trois nains de la forêt ») avec deux personnages principaux, deux filles qui deviennent des amies très proches… trop proches ? A leur côté, deux autres personnages secondaires : l'amie témoin et le petit-ami de… de qui le petit-ami ? Leurs quatre points de vue sur cette histoire, l'analyse des contes (vous vous souvenez : Propp ?), les contes originaux et une ritournelle nous accompagnent, nous aident à comprendre. Et pourtant, chacun y verra ce qu'il souhaite !

Dès lors, peu importe ma propre lecture ! Ce que je peux vous dire c'est que ce roman m'a rapidement mise très mal à l'aise : étouffante cette ambiance, ça ne va pas, ça cloche… oui, je ne la sens pas elle… mais quand même, ce flou, ces doutes… est-ce bien cela ? On se demande… d'autant qu'eux, les personnages semblent aveugles… Et de nouveau, cette sorte de presque-vide de ces personnages tout en forme et contenant, mais où/qui sont-ils vraiment ?

Enfin, il y a ce talent de l'auteur : sa langue si particulière qui porte le flou en elle (avec ce ton détaché notamment), ses jeux de mots/langue/lettres qui me fascinent, ses petites phrases-touches percutantes qui interrogent sur l'identité, la réalité, le savoir, les relations…

Alors oui, j'ai eu une petite réserve, une brève insatisfaction, un effleurement seulement : je me suis demandée si le livre n'aurait pas dû choisir son camp entre un hyperréalisme « liquidien » ou un absurde flottant « lievien » ? Mais non, ça n'aurait plus été ajusté, c'est cet entre-deux qui fait ce livre-ci et sa singula-pluralité ! Et puis, s'il y a bien une spécificité qui me plaît dans les livres de Philippe Annocque c'est leur différence : pour chacun une toute nouvelle forme et l'impression de découvrir un nouvel auteur… et en même temps, pas tout à fait !
Lien : https://emplumeor.wordpress...
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Élise et Lise sont étudiantes en littérature dans une ville où il y a une rue Saint-Charles, des boutiques Zara, H&M, Kookaï et Etam.
“ Élise et Lise ne se sont pas rencontrées le même jour. ” J'adore cette phrase.
Dite comme ça, au pied de la lettre, ça ne va pas, elle tient pas debout ! Alors qu'en fait il n'y a pas plus juste : ça se passe comme ça dans beaucoup de rencontres. Lise a remarqué Élise dans l'amphi un mercredi mais ne lui a pas parlé ce jour-là, et deux jours après, elle la revoit dans une boutique de la rue Saint-Charles et lui adresse la parole. Lise élit Élise. Depuis ce vendredi, Élise et Lise sont amies.

Des phrases, qui dites comme ça, ça ne va pas, il y en a d'autres dans Élise et Lise ; il faut toujours faire très attention parce qu'un peu plus loin, plus ou moins loin, on comprend que la bizarrerie était intentionnelle et alors un sens caché vous apparaît, ou pas, ou pas encore. C'est toujours comme ça avec Annocque, il est très fort, voire retors avec son lecteur ! (voir Pas Liev).

Élise et Lise ont un témoin de leur amitié : c'est Sarah. Élise et Sarah étaient amies avant de rencontrer Lise, mais finalement cela se passe très bien entre elles trois, même si Sarah reste en retrait, en observatrice. Sarah est plus indépendante qu'Élise ; assez vite elle se fait son opinion sur Lise mais elle la garde pour elle, et pour nous. Sarah est une bosseuse : elle étudie la morphologie du conte en prenant des exemples chez les Grimm et Perrault ; elle est particulièrement intéressée par la psychologie des “ fausses héroïnes ”, celles qui dans les histoires magiques, usurpent la personnalité de l'héroïne, la neutralisent et tentent de la remplacer.

Quand elles sont ensemble toutes les trois, elles se racontent leurs histoires de filles. Un jour un quatrième personnage fait son apparition : Luc, le nouveau petit copain d'Élise. Là encore, même si ça étonne un peu Sarah, tout continue à aller très bien entre Élise et Lise ; au moins pour un temps...


un conte sans fées :

Ça commence léger et court vêtu, cheveux brillants, colocation et pyjama-parties : n'était le style (j'en parle après) on se croirait au début, au début seulement, dans un petit roman de chick lit ! C'est sur cette normalité girlie aux couleurs des films de Demy, que le redoutable Philippe Annocque tisse petit à petit sa toile maléfique et glaçante.

Un conte sans fées, mais nourri des histoires merveilleuses que Sarah analyse pour son cursus ; en particulier : Les Trois Nains de la Forêt (Grimm) et Les Fées (Perrault). Les deux contes racontent la même histoire à la base, mais celui des Grimm a une suite qui est un indice majeur pour la progression vers la fin d'Élise et Lise. Également comme dans les contes, une formule magique en forme de devinette, de ritournelle, revient à intervalles réguliers entre les points de vue donnés tour à tour par Lise, Élise, Sarah et Luc.


des répétitions à répétition, des jeux avec les mots :

C'est ce qui frappe tout de suite dans l'écriture de Philippe Annocque. Des jeux avec les mots, avec leurs sens, des répétitions, des reprises, des retournements, des boucles. Cela fait naître un tourbillon hypnotique, un vertige délicieux. Un exemple au hasard :

“ Quand Elise a répondu, Lise s'est rendu compte qu'elle répondait exactement ce qu'elle, Lise, voulait qu'elle réponde. Avant sa réponse, elle ne savait pas vraiment ce qu'elle voulait qu'Elise réponde. Mais une fois la réponse sortie de la bouche d'Elise, Lise a considéré cette réponse qui sortait de la bouche d'Elise et l'a reconnue : c'était exactement la réponse qu'elle attendait. Qu'elle voulait entendre. ”


Si vous ne l'avez pas déjà fait, lisez Pas Liev, puis Elise et Lise, ou l'inverse pourquoi pas.
Les atmosphères y sont on ne peut plus radicalement différentes, mais au bout du compte (!) un thème récurrent les parcourt : le drame d'individus en quête d'identité, de personnages en recherche d'incarnation, qui n'ont pas d'image d'eux-mêmes, qui manquent d'accroche avec le monde qui les entoure.
Lien : http://tillybayardrichard.ty..
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Mais, comme je le disais en préambule, j'ai aimé votre livre. Vraiment. J'ai aimé l'ambiance de folie latente, j'ai aimé vos références à Bettelheim, votre manière d'évoquer, réinterpréter et décortiquer les contes de fées. J'ai aimé l'enchainement des chapitres, l'évolution des personnages et j'ai aimé me demander laquelle des deux était laquelle. J'ai aimé la ritournelle, j'ai vu en ce roman quelque chose de théâtral et en Sarah le choeur de cette pièce.

Le billet complet sur mon blog.
Lien : http://touchezmonblog.blogsp..
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