Comment ne pas comprendre que même si, par impossible, il pouvait rattraper Bérénice, l'apaiser, reprendre, rétablir leur amour, ce ne serait plus jamais maintenant qu'un replâtrage ? Bérénice lui avait dit qu'elle ne pouvait souffrir un objet cassé, ou fêlé, ébréché, qu'il était pour elle intolérable comme un reproche sans fin. Ah, rafistole-t-on l'amour ? Leur amour, ils l'avaient tous les deux placé trop haut, ils avaient tous les deux eu l’orgueil de cet amour, pour accepter qu'il se survécût de concessions, d'oublis, au rabais. C'est comme un dessin d'une venue, le trait en est pur, puis soudain s'il s'embave, si la main tremble, il n'y a qu'à le déchirer; corrigé, il ne serait plus le même, il ne serait plus rien.
Il répétait dans ses souvenirs, parce que la mémoire a la réputation d'être infidèle, et que tout le monde sait qu'elle embellit ou qu'elle est incapable de reproduire ce qui fait le charme d'un visage
Attendre est terrible. Ne plus attendre est pire.
Je vivais parce que j'étais née, c'était tout.
Que ma vie est pâle derrière moi! Rien ne s'y est inscrit qui en valût la peine. est-ce ainsi pour tout le monde? Il doit y avoir des destins chargés de soleil, comme les raisins noirs. Pourquoi pas moi?
« Mais alors, explique un peu... Tu ne fais rien, rien du tout toute la journée ?... Vrai ?... A quoi alors tu passes ton temps ? Moi, je ne pourrais pas. J'ai été chômeur... Il faut de la santé pour être chômeur toute la vie... »
L'amour d'Aurélien, n'étais-ce pas la justification de Bérénice? On ne pouvait pas plus lui demander d'y renoncer que de renoncer à penser, à respirer, à vivre. Et même est-il sans doute plus facile de mourir volontairement à la vie qu'à l'amour.
Il importait bien peu que de l'amour avoué, reconnu, naquit une grande souffrance. L'Amour n'a t-il pas en soi-même sa fin? Les obstacles à l'amour, ceux qui ne se surmonteront pas, ne font-ils pas sa grandeur?
Bérénice n'était pas loin d e penser que l'amour se perd, se meurt quand il est heureux.
Un moment viendra où la peur de vieillir sans être aimée sera plus forte chez Blanchette que ce pouvoir que j'ai encore sur elle...
Si tout cela n'était qu'une illusion de plus dans cette vie qui se poursuit, qui se prolonge, où l'enfance s'est abîmée, où la jeunesse lentement se brûle, et qui ne laissera plus tard que les traces d'amertume qui font les rides du cœur et du visage, les rides qu'elle imagine lentement naissantes au fond du miroir?