Pour produire de la théorie il faut du temps et des moyens, et les prolétaires en ont peu. Ce temps et ces moyens - ne serait-ce que dans la forme d'une certaine maîtrise des facultés intellectuelles (lecture, analyse, écriture, etc.) - ne sortent pas de nulle part : ils viennent d'une certaine place dans la division sociale du travail qui, en principe, n'est pas celle du prolétaire, et aussi d'un certain niveau de vie. Évidemment, les exceptions existent, mais elles ne sont pas très significatives. Reconnaître cela ne signifie pas disqualifier les théoriciens non prolétaires. La théorie a toujours été produite dans la séparation.
La classe moyenne salariée se définit par le fait qu’elle est destinataire d’une partie de cette plus-value sous la forme du sursalaire. Le capital consent à ce supplément de salaire pour payer l’encadrement de la production et de la circulation de la valeur et s’assurer du zèle et de la fidélité de la classe moyenne salariée. Le fait d’être définie par sa fonctionnalité et la spécificité de ses revenus constitue la classe moyenne salariée en classe proprement dite. Il y a le prolétariat, défini par son statut de sans réserves, les capitalistes, détenteurs des moyens de production, et la classe moyenne salariée, caractérisée en même temps par son travail (intellectuel) et par la fonction d’encadrement qu’elle exerce par délégation des capitalistes. Cette classe défend normalement ses intérêts dans ses rapports avec les autres classes. Nous voici confrontés au ménage à trois de la lutte des classes, par opposition au schéma à deux classes (l’affrontement prolétariat/capital) qui prévaut depuis longtemps.
Une histoire des résistances au travail et de « l’anti-travail » depuis l’industrialisation – avec Bruno Astarian, auteur de l'ouvrage historique "Aux origines de l’anti-travail" (2005)