Un grand merci à Masse critique et aux éditions Buchet-Chastel !
"Les autres, voilà l'éternel problème humain. Même absents ils continuaient à nous emmerder" (p.103)
Tout est dit ! Pour Abdel, le narrateur : "L'enfer, c'est les autres". A tel point que, pour se tenir aussi éloigné que possible de cette humanité qu'il juge absurde, désespérante et malfaisante, il s'est isolé dans un hameau de montagne, entouré de ses livres et de ses DVD. Aussi, lorsqu'un matin, à son réveil, tous les autres ont disparu, que voiture, électricité, eau ne fonctionnent plus, il pourrait prendre assez vite son parti de cette aubaine qui lui offre l'absolue solitude qu'il apprécie. Cependant, lorsqu'il rencontre Laure et Sandra, deux soeurs rescapées comme lui, il s'interroge sur l'éventualité de remplacer les humains disparus par de possibles descendants... si les jeunes femmes n'étaient excessivement méfiantes et quelque peu perturbées !
Ce rêve d'un hypothétique nouvel Eden est brutalement anéanti par le surgissement du réel habituel. Retour des humains, de leurs vices, de leurs comportements destructeurs, de leur cruauté et de leur bêtise. Avec eux, les soupçons, l'injustice, la crapulerie réapparaissent et Abdel est, forcément, le parfait bouc émissaire de toutes ces perversions. Cet engrenage fatal le conduit aux limites de la folie, car, s'il est question ici du rapport aux autres et des infinies variations qu'il engendre, c'est dans son frottement à la réalité qu'il est interrogé, à la réalité de chacun et, donc, à la subjectivité de toute perception du réel.
La misanthropie d'Abdel n'est jamais mépris, indifférence ou égoïsme. Elle se fonde au contraire sur une compassion et une empathie démesurées envers ces "amochés" que le hasard met sur sa route, mais une compassion lucide, c'est-à-dire jamais encline à l'angélisme ou à la sensiblerie. Cette compréhension, au double sens de saisir et d'englober, de l'humain est le constant filigrane du roman de
Nan Aurousseau. Comprendre sans nécessairement excuser mais sans non plus accuser.
J'ai retrouvé avec grand plaisir l'écriture de
Nan Aurousseau, qui sait remarquablement marier l'autodérision, l'ironie, la tendresse et la poésie, sur fond d'analyse sociale. Si "
Les amochés" n'est pas le roman que je préfère, j'ai beaucoup aimé l'énergie de la narration, son habile et succulente incursion dans le fantastique, les linéaments d'optimisme désabusé que le roman laisse entrevoir et les scènes savoureuses qu'il dépeint. Et, bien sûr, ce personnage d'Abdel, double de l'auteur, héroïque anti-héros, dont j'ai suivi avec jubilation les mésaventures !