A l'occasion du festival Quais du Polar 2021, découvrez un entretien en compagnie de Nan Aurousseau écrivain et réalisateur français, qui nous en dit plus sur son roman noir "Grizzly".
Les Éditions Buchet-Chastel, mai 2021
J'ai d'abord entendu sa mobylette. Elle vient d'entrer dans la caravane. Elle porte des sacs en plastique parce qu'elle vient de faire les courses. Elle a enlevé son casque à pointe. Faut voir la dégaine. Une cloche, quoi, une vraie, avec un gros pif et tout ce qui va avec, gros bide, cul carré comme une machine à laver, cheveux merde de pigeons séchée, mollets de chez Michelin, avec des chaussettes s'il vous plait. Une paire de lunettes vertes. Enfin pour quelqu'un qui serait pas blindé y aurait de quoi se suicider. (…)
- T'as vu ce temps pourri qu'y fait dehors ?
Je vous raconte pas la voix qui va avec parce qu'on peut pas décrire des choses comme ça, même à des sourds.
«Plus on a de souvenirs, moins il nous reste à vivre».
Moi, j'aime bien le proverbe chinois : "Quand vous avez un moustique qui vient d'atterrir sur vos couilles c'est là que vous voyez qu'on peut pas tout résoudre par la violence."
J'ai été placé dans une famille d'accueil, puis dans une famille d'écueil et comme ça d'écueil en naufrage j'ai tenté de m'accrocher aux autres mais c'était trop tard, j’aimais déjà plus autrui en aucune façon.
J'ai une montre à laquelle je tiens beaucoup. Elle s'est arrêtée le jour de ma naissance. Vous pouvez y croire vous à des choses comme ça ? Eh bien pourtant c'est vrai. Dix heures vingt-sept pile poil. J'en revenais pas. Du coup je l'ai gardé comme ça. C'est bien d'avoir toujours la même heure, c'est moins angoissant que quand ça change tout le temps. Moi ce que j'aimerais c'est que rien ne change jamais. S'il pouvait être par exemple tout le temps midi avec un grand soleil, ou même dix heures dix, onze heures vingt pourquoi pas mais que ça change jamais. C'est peut-être ça le paradis je me dis des fois quand j'y pense, la même heure éternellement.
Moi j'aime bien le proverbe chinois : "Quand vous avez un moustique qui vient d'atterrir sur vos couilles c'est là que vous voyez qu'on peut pas tout résoudre par la violence".

La femme de Malraux, Clara, raconte comment avec André ils ont vécu selon leur fantaisie et l'inspiration du moment parce que, issue d'une famille très riche, elle avait hérité d'une belle fortune. Ils ont voyagé à travers le monde sans jamais se soucier d'avoir à gagner leur pain quotidien mais, Malraux menant grand train, ils avaient tout dépensé. Elle lui a alors dit: "Il va être temps de travailler."
"Travailler? Jamais!" lui avait répondu Malraux.
Il a eu l'idée d'aller au Cambodge, d'y voler des pierres sculptées au temple d'Angkor et puis de les revendre. Il s'est fait prendre, a fait de la prisons là-bas, etc. Moi, ce qui m'intrigue dans tout ça c'est qu'il soit ensuite devenu ministre de la Culture. Il ne s'est donc jamais rendu et il est parvenu aux plus hautes responsabilités dans son pays. J'ai toujours fait le lien entre le refus de travailler sous certaines conditions et le fait de s'adonner entièrement à la culture. La phrase de Malraux rappelle quelque part le graffiti de Guy Debord sur le mur du Quartier latin: Ne travaillez jamais! Mais malheureusement en 1968 Malraux n'était plus le rebelle qu'il avait été, il était devenu une vieille baderne qui aurait jeté sans remords Guy Debord en prison.
Malheureusement, malgré leur taille les stades de foot sont très largement insuffisants, avait dit l'écrivain, le sport est un pansement sur une jambe de bois en ce qui concerne la récidive. Une petite bibliothèque vingt fois moins grande qu'un stade, avec un bon éducateur, serait cent fois plus efficace. Le savoir, c'est le pouvoir, donc il n'y a aucun hasard au fait qu'on vous tienne culturellement la tête sous l'eau. C'est une asphyxie volontaire. Vous n'êtes pas né au bon endroit, celui où l'on devient riche et intelligent. On peut parler de population sacrifiée sur l'autel du fric...
Les gens aiment pas les histoires de prison et pourtant c'est bien crade ce qui s'y passe. Ils aiment que les saloperies de la téléréalité qui n'a rien à voir avec la vraie réalité, les mômes qui se bouffent le cul dans des lofts ou alors les pires histoires de crime sordide mais arrangées, nettoyées, toutes floutées de partout et racontées par des belles nanas blondes avec un expert, raide comme l'injustice derrière son pupitre en verre.
Elle portait juste un peignoir de mauvais goût mais qui laissait voir qu'elle était pas si mal foutue que ça, surtout les cuisses et la figure. C'est important la figure parce que c'est ce qu'on a en face de soi le plus souvent. Pour le reste on peut éteindre la lumière.