Moon palacePaul Auster (né en 1947)
Avec de tels noms et prénoms prédestinés, Marco Stanley Fogg ne pouvait qu'être un grand voyageur. Rappelons nous Marco Polo, premier européen à se rendre en Chine, Stanley qui retrouva la trace de Livingstone, et enfin Phileas Fogg du Tour du monde en 80 jours.
1965 : Fogg, jeune étudiant orphelin de mère et abandonné par un père qu'il n'a pas connu, élevé par son oncle Victor (dont il héritera de la bibliothèque composée de 1492 ( !) livres), arrive à New York dans un appartement sordide. Il est sans ressource ou presque. Il vend les livres de son oncle au fur et à mesure qu'il les lit.
Fogg devient un voyageur pas ordinaire qui va faire des rencontres pas ordinaires pour un récit d'une grande richesse de lieux et de couleurs et pour un voyage initiatique conséquemment.
Fogg a un penchant pour l'errance et la rêverie avec des emballements soudains et de longues torpeurs, traits de caractères qui vont lui nuire sans que cela le désespère vraiment.
Frappé peu à peu d'un nihilisme haussé au niveau d'une proposition esthétique allant jusqu'à l'effondrement et la déréliction, il veut faire de sa vie une oeuvre d'art, se sacrifiant à ce paradoxe raffiné : chaque souffle de vie doit le préparer à mieux savourer sa propre fin.
Sans aucune ambition et ressentant un désintéressement total pour l'argent, Fogg découvre avec délectation les avantages cachés que recèle chaque privation et la seule action de ne rien faire lui paraît considérable, laissant s'écouler les heures dans l'oisiveté la plus totale sans aucun scrupule. Par ailleurs, Américain, il est convaincu d'être la preuve vivante que le système a échoué et que le pays béat et suralimenté de l'abondance se lézarde enfin.
Tout de même, il est un homme avec ses pulsions et il rencontre Kitty Wu, une belle chinoise :
« Elle avait de jolis seins qu'elle arborait avec une admirable nonchalance, sans les exhiber ni faire semblant qu'ils n'existaient pas. »
le restaurant chinois du coin de la rue donne le titre au livre :
Moon Palace, dont l'enseigne lumineuse rose et bleue attire régulièrement le regard de Fogg.
Fogg a un ami en la personne de Zimmer qui finit par l'héberger, un petit homme nerveux et un peu raide, étudiant comme lui, brillant et consciencieux et partageant la même passion que lui pour les livres obscurs et oubliés, poète à ses heures.
Et puis il y a la rencontre avec Effing, un homme difficile, handicapé, aveugle semble-t-il, caractériel : Fogg se met au service de cet homme afin d'avoir quelques revenus. Il le promène, lui fait la lecture et la conversation. La tâche la plus ardue est celle de décrire le monde pour Effing , aveugle sans doute, et qui demande la perfection dans le détail.
Fogg ne sait pas encore quelles surprises lui réserve cette rencontre ainsi que celle de Barber, le fils de Effing.
En attendant, Effing lui demande de prendre note de tout ce qu'il va lui raconter concernant sa vie, réelle ou inventée, en vue d'une note nécrologique. Une double vie avec une mort et une nouvelle identité. Avec Effing, on ne parvient jamais à faire la part du vrai et du faux.
Un roman absolument étonnant, d'une très grande richesse de thèmes, allant de la recherche d'identité à la valeur de la solitude. Un livre passionnant malgré quelques longueurs.