Âpre et magnifique roman de cet auteur américain hanté par l'isolement qui en angoissera plus d'un à la lecture de ces situations de solitude absolue, parfois volontaire, toujours assumée, suicidaire presque, dont on ne peut s'empêcher de penser que l'auteur en a fait lui-même l'expérience, comme bon nombre de situations décrites avec une précision chirurgicale.
Le protagoniste, Marco Stanley Fogg, jeune étudiant cérébral et solitaire, évoluant à l'époque précédant les seventies, prouve que la solitude n'a pas d'âge et prend souvent sa substance interne dans des situations familiales compliquées.
On le voit s'attacher aux rares membres de sa famille qu'il lui reste, mais finissent par s'en aller, le plus souvent mourir, et on a mal pour lui, d'autant plus qu'il se trouve dans la misère, gérée et assumée mais terrible.
Moon Palace, le restaurant que le narrateur voit de sa fenêtre, respire l'abondance et le bien-être, et attire son regard.
C'est peut-être aussi pour l'auteur un clin d'oeil humoristique aux nuits sans abri où, couché sur l'herbe, il observe la lune au-dessus de lui...
Rencontres opportunes et coups de chance lui permettent parfois de ne pas sombrer, aidant ainsi son énorme capacité de résilience. le héros fait feu de tout bois et apprend sans cesse.
Des situations, des lieux, des gens surtout.
Sa rencontre avec Kitty, patiente et amoureuse, lui fera croire un temps au bonheur.
Mais dans les romans de
Paul Auster, celui-ci ne dure jamais, ses héros tourmentés se sentant appelés ailleurs, comme mus par une fatalité implacable.
Brisant le coeur de la jeune femme, il s'éloigne d'un bonheur trop parfait pour braver l'inconnu dans une quête éperdue dont il ignore même le sens.
Sa rencontre avec un milliardaire excentrique de qui il deviendra l'aidant esclave puis le secrétaire chargé de retranscrire la vie du vieillard avant qu'il ne disparaisse se révèlera à la fois terrible et formatrice, puis salvatrice. Les coups de dés jetés par l'auteur ne cesseront de le diriger dans une direction de rédemption puis de malchance absolue.
La chance finit par arriver, très vite remplacée par l'adversité .
Sa rencontre avec un autre personnage clé, maillon d'un fil conducteur que le héros de l'histoire ignore absolument, est des plus bouleversantes.
Marco, héros de son propre quotidien, nous donnera une bonne leçon philosophique en abandonnant tous les codes du bonheur moderne face à l'immensité de l'océan , sur un territoire où une autre vie est désormais à recréer.
Dans ce roman lunaire, où l'on retrouve des constantes propres à l'auteur, on serait bien tentés de se dire après quelques pages :" Ces descriptions longues et précises de lieux communs, de situations quotidiennes... on va s'ennuyer."
Il n'en est rien, car chez
Paul Auster, l'ordinaire finit toujours par rencontrer l'incroyable.
Un grand roman très américain, dans ses décors où tout peut arriver, où tout finit par arriver. Philosophique et flamboyant, à l'allure de road movie rappelant Kérouac, il nous invite aussi à détourner les aléas de l'existence avec intelligence et légèreté.
A découvrir absolument.