[Mme Archambaud] avait beau vivre à l'écart des livres, elle sentait très bien que le fait d'avoir la tête sur les épaules n'allait pas sans un certain ridicule et que la notion d'équilibre s'opposait formellement, dans le monde actuel, à celle d'intelligence.
Les juges riraient bien s'il leur disait la vérité, à savoir qu'en collaborant avec les responsables de Buchenwald, il avait cru sortir de [sa] solitude pour se répandre en amour et en dévouement. Allons, le tribunal prononcera la sentence de mort et tout sera pour le mieux. Être condamné à mort, jugé indigne de vivre par tout un peuple, c'est être vraiment seul.
Comme il se montrait disposé à écarter la discussion, Watrin s'anima et se mit à parler d'Uranus. Il aurait souhaité que l'ingénieur passât quelques nuits comme les siennes à porter le fardeau de l'astre obscur.
Et vous, vous n'avez pas peur ?
-- Si un petit peu. A vrai dire, très peu. Mais moi, je ne suis pas tout à fait normal. Je suis détraqué. Vous, Didier, vous vous comportez comme une cellule saine dont la teneur en phosphore ou en calcium se modifie avec celle de l'organisme auquel elle appartient. Vous avez peur avec trente-neuf millions de Français. N'en soyez pas affligé, mais admirez cet impérieux sentiment de l'harmonie qui vous pousse à hurler avec les loups. Aujourd'hui c'est l'harmonie de la grande peur qui règne parmi les hommes. Il y a beaucoup d'autres harmonies qui auront leur tour. Le monde est merveilleusement construit et l'homme en est le chef-d'oeuvre parfait, Didier, je vous le jure.