Au détour des pages 41-42 de l'ouvrage, l'auteur a relevé la confession d'une personne recrutée par les agents de la Gestapo. Arrêtée à la Libération, cette personne a été condamnée à mort et exécutée. Elle rédigea sa confession [entre guillemets] quelques heures avant son exécution :
[40 ] "Je ne veux pas minimiser mon action, ni invoquer des prétextes et excuses pour m'innocenter. Non, je ne suis pas un lâche. J'ai dénoncé des dizaines de gens : j'ai même livré à l'ennemi le jeune B... qui fut mon camarade de classe et mon meilleur ami.
"Il est venu me voir un jour en toute confiance pour que je fasse partie de son groupe de Résistance. Je l'ai accueilli amicalement et nous avons dîné ensemble. Pendant ce dîner, nous avons évoqué en riant nos souvenirs de collège. Je lui ai donné rendez-vous pour le lendemain à 17 heures. Je suis venu à ce rendez-vous avec plusieurs agents de la Gestapo. Je lui ai crié en plein visage : "Police allemande, je t'arrête". Il est devenu tout pâle, et s'est mis à trembler à pleurer et à crier : "Ce n'est pas vrai, ce n'est pas vrai !". Je l'ai giflé et je lui ai craché au visage.
[41] "J'ai appris qu'il est mort à Buchenwald, en me maudissant. Pourquoi ai-je fait cela ? Pourquoi ai-je trahi ? dénoncé ? Je ne peux pas en donner d'explication logique. Peut-être ai-je été abusé par mon chef Costantini, qui fut un soldat prestigieux des deux guerres ?
"Pendant des mois et des mois, entre les quatre murs de ma cellule, j'ai voulu savoir, j'ai voulu comprendre ma trahison et ma déchéance. Les desseins de Dieu sont impénétrables, dit-on, et je me suis souvenu de la tragique hypothèse janséniste : notre destin profond nous échappe, et l'homme n'est qu'un misérable privé de choix et de jugement. Je mérite la mort, mille fois, et je demande avant de mourir, pardon à tous ceux que j'ai fait souffrir, je demande pardon à la mémoire de mon camarade B..."
[Témoignage inédit selon l'auteur].