Pari audacieux et réussi : réécrire l'Iliade en conte moderne...
Pari audacieux et totalement réussi par
Alessandro Baricco en 2004 : à partir de la traduction italienne de
Maria Grazia Ciani, rien moins que réécrire l'Iliade. Non à la manière du
Pierre Ménard de
Borges, mais avec initialement un dessein précis en tête : transformer les quelques quarante heures de récit à voix haute du texte d'origine en une version de quelques heures, permettant ainsi une lecture publique intégrale.
Pour cela, comme il l'explique en avant-propos, Baricco a 1) effectué des coupes en ôtant les répétitions, sans résumer ni couper de scènes entières, à part les apparitions des dieux, 2) accentué le mouvement de traduction déjà entamé "vers un italien vivant, plus qu'un jargon de philologue", 3) mis le récit sous forme subjective, en éliminant le style indirect et en donnant la parole aux acteurs eux-mêmes, 4)
pas pu résister à la tentation de quelques (petites) adjonctions (imprimées spécifiquement en italique).
Deux commentaires de Baricco lui-même à retenir, l'un dans l'introduction, l'autre dans la conclusion :
"On le sait, les dieux interviennent souvent dans l'Iliade, pour orienter les événements et confirmer l'issue de la guerre. Ce sont probablement les parties les plus étrangères à la sensibilité moderne, et souvent elles cassent la narration, en diluant une vitesse qui, sinon, tiendrait de l'exceptionnel. Je ne les aurais pas enlevées en tout cas [les interventions divines] si j'avais été convaincu qu'elles étaient nécessaires. Or - d'un point de vue narratif, et uniquement - elles ne le sont pas. L'Iliade a une forte ossature laïque qui ressort dès que les dieux sont mis entre parenthèses. Derrière le geste du dieu, le texte homérique cite presque toujours un geste humain qui redouble le geste divin et le ramène, si l'on peut dire, sur la terre."
"Ce ne sont pas n'importe quelles années, les années où nous sommes, pour lire l'Iliade. Ou pour la "réécrire", comme je me suis trouvé à le faire. Ce sont des années de guerre. Et même si le mot "guerre" continue de me paraître erroné pour définir ce qui se passe en ce moment dans le monde (un terme de commodité, disons) , ce sont en tout cas des années où une certaine barbarie orgueilleuse, liée pendant des millénaires à l'expérience de la guerre, est redevenue une expérience quotidienne."
Depuis, plus de 10 000 spectateurs ont assisté à ces lectures publiques... le texte écrit permet aisément de comprendre pourquoi, tant la dynamique et la force de l'Iliade sont présentes, condensées mais multipliées par cette (relative) concision même. Une expérience étonnante valant réellement le détour !