Posons le décor : je suis fan absolu de Baricco dont j'ai lu beaucoup de fictions et de « non fictions » ; j'ai même pu interpréter au théâtre le personnage de Savigny - inspiré d'un rescapé du radeau de la méduse - dans son oeuvre majeure «
Océan Mer » !
donc je ne suis pas objectif… !
mais qui l'est dans une critique sur Babelio ou ailleurs ??
Je crois aussi que je peux me permettre de comparer entre ses oeuvres. Selon moi, dans cet essai, il réussit parfaitement à marier son talent de conteur, de peintre de l'âme humaine, avec un travail impressionnant de chercheur et de vulgarisateur scientifique (qu'il avait esquissé dans ses précédents essais sur les nouveaux barbares). Et tout ça avec un humour décapant et une pseudo légèreté assez inégalés dans cet exercice à quelques rares exceptions. Je pense à ce que fait
Alexandre Astier dans ses exoconférences et avec lequel Baricco partage aussi une formation en musique.
Légèreté, humour, vulgarisation certes … mais aussi de la profondeur, des références nombreuses et une complexité assez impressionnantes. Et cela rend aussi certains passages assez ardus à ingurgiter : je songe aux longs développements des « commentaires » qui concluent et prolongent les différents chapitres.Il faut s'accrocher parfois et parfois relire certains passages ; d'ailleurs Baricco nous y invite régulièrement dans une forme de pédagogie répétitive ou circulaire …
Et sur le fond justement, il y a de magnifiques trouvailles et des thèses défendues qui sont plus que brillantes. lumineuses ! … elles donnent un éclairage sur ces « deuxièmes mondes » numériques qui tournent comme des réalités parallèles mais aussi emboîtées les unes dans les autres. Très surprenante aussi l'hypothèse des origines, des intentions émancipatrices et des ruptures sémantiques voir philosophiques des fondateurs (hélas des hommes,blancs, ingénieurs et américains dans leur immense majorité !)
Fulgurante aussi la trouvaille d'avoir nommé ce deuxième monde
The Game (LeJeu pour les anglophobes !!) car ce nom se décline en multiples facettes et ramifications.
Allez voir aussi la description de la « posture zéro » homme/clavier/écran (avec le passage du Baby foot à la console Space Invaders !) , de l'aérodynamique des « vérités-minute », des pyramides inversées que sont les applications avec leurs icônes qui flottent à la surface de nos écrans comme la partie immergée de véritables icebergs technologiques…
j'ai lu que certain-es critiques reprochent à Baricco dans cet ouvrage une forme de complaisance béate, voire d'idolâtrie et de naïveté vis à vis de ce monde numérique dans lequel il semble nager avec bonheur. c'est vrai en partie . mais alors il faut aussi prendre le temps de lire ses développements lucides sur les insurrections indispensables pour lutter contre les dérives constatées : une nouvelle forme d'élite et de concentration de pouvoirs entre quelques milliardaires (principalement les boss mégalo des GAFA…) … Il en appelle d'ailleurs aux plus jeunes générations nées dans le Game qui seules pourront le renouveler en lui apportant notamment une vision plus diversifiée : femmes, jeunes, cosmopolites, artistes
Et pour terminer je ne résiste pas à recopier ici un passage que je pense beaucoup d'entre vous devraient apprécier (pages 391 et 392 de l'éditions poche ! sur 410 pages !).
Baricco y constate et célèbre l'incroyable survie et vitalité d'un objet totalement anachronique dans
The Game
« … Nous ne nous perdrons jamais vraiment tant que nous aurons des livres entre les mains. Pas pour ce qu'ils racontent, non. Pour la façon dont ils sont faits. Ils n'ont pas de liens. Ils sont lents. Ils sont silencieux. Ils sont linéaires, vont de gauche à droite, de haut en bas. Ils n'affichent pas de score. Ils commencent et se terminent. Tant que nous saurons les utiliser, nous serons humains. C'est pourquoi le Game les place entre les mains des enfants. du moins il attend qu'ils posent leur PlayStation, puis il les place entre leurs mains »
Tiens, je vais demander à mon libraire préféré (pour mémoire le Relais de Poche à Verniolle /Ariege !!!) s'il veut l'afficher dans sa vitrine !