Je connaissais le romancier, mais aussi l'essayiste ("Next") et je me suis toujours intéressé à la diversité de l'oeuvre d'Alessandro Barico. Certains de ses romans m'ont déplu, d'autres m'ont enthousiasmé.
Avec "
The game", j'ai passé un moment formidable.
J'ai eu le sentiment de m'assoir en face d'un professeur anti-conventionnel, passionné et impatient de partager sa proposition sur le sujet.
Face à l'ouragan du numérique et des écrans, j'ai depuis longtemps adopté une position de méfiance, me plaçant malgré moi dans le camp des vaincus, réfractaires et un rien bougons. Bien qu'étant entouré d'outils du numérique, j'ai toujours prêté une oreille aux mises en gardes, sentant que ce bouleversement des usages n'apportait pas que des améliorations à notre vie. Mais cela faisait de moi un sceptique peu enclin à profiter des avantages de ce cette nouvelle donne. Je jouais le jeu, mais sans joie.
L'arrivée du numérique fut soudaine, énorme, et on ne reviendra plus en arrière. Pourquoi alors ne pas essayer de comprendre comment c'est arrivé...
"
The game" m'a enthousiasmé car il m'a proposé une vision lumineuse sur le sujet. Barico expose sa théorie avec un remarquable sens du récit, qui fait que j'ai dévoré son livre avec la même excitation qu'un enfant qui découvre les aventures des trois mousquetaires.
Le propos est fulgurant, clair, documenté, parsemé de repères chronologiques propres à remettre en perspective les moments décisifs de cette révolution.
Sans juger, étant même plutôt disposé à démontrer à quel point cette nouvelle ère s'est construite en opposition aux systèmes de cloisonnements du XXème Siècle, Barico décortique les étapes, lève le voile sur les personnalités majeures de cette révolution, et arrive à la conclusion que nous vivons dans une ère imaginée par des créateurs de jeux vidéo.
"Space Invaders", le jeu de salle, constituerait selon lui le socle sur lequel tout serait arrivé. La position homme-clavier-écran est née de là, et se serait ensuite répétée et diffusée dans toute la mécanique d'invention des services du numérique.
Nous vivons dans un monde ludique, parsemé de voyants affichant des scores. Tout est simple, sensuel, instinctif, conçu pour la mise en mouvement, en opposition à l'immobilisme et au cloisonnement caractéristiques du siècle passé (qui a engendré son lot d'horreurs, comme chacun sait)
En ce sens, c'est une révolution, car en proposant un système de mouvement perpétuel, de partage du savoir, de manipulation tactile et ludique, les créateurs du numérique ont piétiné la position dominante des élites du siècle passé.
Barico parle de la post-expérience comme d'un phénomène qui nous pousse, grâce aux nouveaux outils, à multiplier les usages et les actions, dans une sorte de transe créative inédite.
Il souligne qu'une nouvelle élite est en train de s'affirmer, composée de personnes qui savent aller au delà de la simple utilisation pour aller créer de nouvelles expériences, dont la conscience navigue en permanence entre le monde réel et celui du monde dématérialisé.
L'auteur parvient à communiquer son enthousiasme, et nous guide au travers de son analyse originale du sujet.
On en ressort éclairé, et par là même, ce fut mon cas, débarrassé de cette méfiance nourrie durant des années par une réflexion qui manquait de hauteur. Barico ne manque pas cependant d'émettre des réserves quant à une tendance à l'atrophie du phénomène, mais dans l'ensemble, l'approche vise à nous aider à comprendre, et donc à accepter cet immense changement dans nos anciens repères.
Remarquable !