Il s'agit du premier tome d'une nouvelle série indépendante de toute autre. Il contient les épisodes 1 à 4, initialement parus en 2013, écrits par
Clive Barker et
Mark Miller, dessinés, encrés et mis en couleurs par
Haemi Jang. le concept de la série a été créé par
Clive Barker, l'auteur de Livres de sang,
Cabale et bien d'autres, et le réalisateur de
Hellraiser.
L'incipit correspond à une maxime : "un simple rêve peut engendrer une révolution". Julian Demond est un millionnaire. Il a organisé des fouilles archéologiques dans une région désertique non identifiée du monde. Il progresse dans le désert, les yeux bandés. Ses pieds buttent sur une aspérité. Il se met à creuser et met à jour un tombeau pyramidal. Il en émerge un être divin qui prétend avoir été le Dieu de l'Ancien Testament. Julian Demond devient son premier adorateur, lui étant totalement dévoué, sans condition. Cette entité prend le surnom de Wick (contraction de Wicked = abject ou diabolique).
Dans un club situé dans la banlieue d'Hollywood, Tristan Demond (le fils de Julian) dîne avec Elspeth sa compagne, il ressent le danger pesant sur son père. Il décide de se rendre dans sa demeure, avec Elspeth, malgré la franche inimitié existant entre lui et son père, pour savoir où il se trouve et ce qu'il fait.
Au début du récit, le lecteur est tiraillé entre 2 attitudes : accorder sa totale confiance à
Clive Barker, ou soupirer devant ce début stéréotypé. le premier épisode entretient cette oscillation entre ces 2 positions. La manière dont Wick se révèle à Julian Demond est à la fois spectaculaire et horrifique, dans sa méthode dépourvue de toute inhibition. Wick ne se déclare pas maître du monde de but en blanc, le lecteur constate qu'il l'est. Julian Demond n'a rien d'un jeune assoiffé de puissance et complotant dans le dos de sa déité pour s'approprier ses capacités. C'est un homme âgé, habitué à commander et à ce qu'on lui obéisse, parce que son aisance financière le lui permet.
De l'autre côté, la tombe pyramidale avec des sculptures à la
Lovecraft et le comportement d'Elspeth et Tristan n'ont rien de très cohérent ou idoine. le fait que Tristan ressente à distance la mise en danger de son père ressemble à un dispositif narratif artificiel et gratuit. le bureau caché de Julian Demond derrière une paroi murale qui pivote relève d'un stéréotype infantile hérité des pulps.
La tonalité de la narration du récit finit par emporter l'adhésion du lecteur. Barker et Miller dépeignent un dieu souhaitant être obéi au doigt et l'oeil, et être adoré sans condition. Il s'agit d'un dieu intransigeant et inaccessible à la raison. Parmi les scènes les plus réussies, il y a celle où il décide de supprimer quelques individus qui lui ont déplu, celle où il rencontre les puissants de ce monde (des chefs d'entreprise dans le domaine du divertissement), ou encore sa relecture (ou plutôt son décodage) de l'Ancien Testament (Sodome & Gomorrhe, le sacrifice d'Abraham).
Barker et Miller ne se lancent pas dans une réinterprétation moderne, comme à pu le faire
Douglas Rushkoff avec sa série "Testament" (à commencer par Akedah. Ils montrent en quoi la personnalité de Wick correspond à celle des écritures saintes. Ils racontent un récit catastrophe dans lequel les capacités surnaturelles de la déité ne s'apparentent pas à des superpouvoirs, et dans lequel sa nature divine s'exprime dans la radicalité de ses actions. Dieu est de retour, ses voies sont impénétrables ; par contre il va juger l'humanité.
Haemi Jang est une artiste coréenne qui a su trouver la bonne approche pour transcrire l'ambivalence du corps de Wick. Il dispose d'une morphologie parfaite, sans être bodybuildé, avec une composition chromatique qui atteste de sa condition divine, sans qu'il s'agisse d'un tourbillon pyrotechnique épuisant le lecteur par des millions de couleurs. Wick dispose d'une présence impressionnante dans chaque case où il apparaît, avec une apparence originale, sans point commun avec un homme âgé à la barbe blanche.
Haemi Jang a choisi une approche visuelle plutôt réaliste, sans énormément de détails. Chaque personnage dispose d'une morphologie spécifique, mais elle ne s'attache pas particulièrement aux tenues vestimentaires. Les expressions des visages sont adaptées, sans être très nuancées. Les environnements disposent d'une ou deux cases pour être établis en tant que décors, puis les arrières plans se simplifient, voire disparaissent (comme dans beaucoup de comics). L'attention portée aux compositions chromatiques et la pertinence des décors évitent que le lecteur ressente une impression d'enfilade de personnages se déplaçant sur une scène vide de décors. Globalement,
Haemi Jang réussit à immerger le lecteur dans l'environnement dans lequel évoluent les personnages.
Clive Barker,
Mark Miller et
Haemi Jang créent un récit original dans lequel Dieu foule à nouveau la Terre. Il a pour objectif de réinstaurer son règne, tout en jugeant les êtres humains, leur société et leur civilisation. La composante horrifique est bien présente, avec des facettes originales, rehaussées par des dessins compétents ayant la capacité de donner corps à cette déité inhumaine.