Trop vite lu. Bien trop vite. Mais impossible de lâcher le livre que j'ai baladé dans mon sac pendant trois jours, ouvert à chaque minute disponible... dans le tram, accompagnant mes 20 minutes de marche au soleil entre chez moi et la fac, en attendant une amie...
Rick Bass m'a offert un mélange de fascination pour ses descriptions de la nature et de la saison (et l'anticipation de son arrivée), de gourmandise pour quelques anecdotes sur et/ou de ses voisins, sur ses mésaventures ou celles de sa femme, et d'admiration pour sa volonté, son désir d'appartenir, de devenir part intégrante de la petite communauté de Yaak mais surtout de la Vallée de Yaak elle-même. Et de l'envie bien sûr, de l'envie de faire ce grand pas, cette transition dans l'adoption de cette Nature à laquelle sa propre nature fait écho, la lenteur, la patience, l'écoute de son environnement et de soi, ce désir d'apprendre sans cesse renouvelé, sans jamais rien considérer comme acquis.
Bass narre avec finesse cette ambivalence constante qu'est la vie dans la Vallée au coeur de l'hiver, en commençant par le commencement, leur premier hiver dans le Pacific North West, dans l'une des régions les plus naturellement primitives de l'Amérique du Nord. Cette ambivalente, il la tisse joliment dans ses récits, jour après jour, au fil de pensées, d'observations et d'anecdotes drôles sous lesquelles on devine une mise en garde, un message de vigilance permanente, ne se laisser tenter et s'endormir sur l'acquisition progressive des rythmes de la nature environnante, encore une fois, ne rien considérer comme acquis.
Et puis il y a les thèmes que l'on retrouve déclinés sous une multitude facettes. Mon préféré? le bois. Cette obsession au début hilarante, puis inquiétante et finalement apaisante de Bass pour le bois. Les bois en fait: les arbres, les forêts, les géants anciens tombés qui attendent qu'on leur permette de poursuivre leur cycle, soit en chauffage précieux soir en complétant leur cycle naturel, ajoutant à la richesse de la terre. En parlant de chauffage, Bass taille et retaille frénétiquement son bois de chauffage, se fixant des quantités pour les différents tas de bois de l'habitation (la serre pour l'écriture, la cuisine pour la cuisinière, la maison pour les poêles et cheminées), il taille, retaille, empile, transporte, empile presque sans répit, avant et pendant l'hiver... Au-delà de son plaisir on ressent qu'il redoute ce premier hiver, ne pas s'y adapter, en devenir part et part de la communauté.
Ma famille et mes amis se moquent souvent de mon plaisir à trier le bois chez mes parents, à l'empiler, le déplacer. Merci M. Bass, mon expérience et ma vie sont à bien des lieues physiques et spirituelles de la vôtre, mais vous m'avez offert-là un beau cadeau: un sourire et un peu de paix et de compréhension. C'est idiot, mais c'est bon.
Et puis il y tout ce qui touche à la communication, avec les autres habitants de Yaak, à la fois essentielle et silencieuse mais aussi celle effectuée avec quelque peu de réticence mais tout aussi importante. le rareté des téléphones donne soudain un sens différent à l'éloignement de ce qui est cher et ce qui semble si important dans d'autres conditions et qui finalement devient presque superflu.
Une question de mode de vie. Bass s'attarde finalement sur ce changement volontaire pour Elizabeth et lui, et l'essentiel des habitants de Yaak. Un changement géographique (du sud est au nord ouest), climatique mais aussi intérieur. Un ralentissement obligatoire qui semble redonner sens aux petits détails sur lesquels on ne s'arrêtait plus. Un ralentissement où le changement le plus infime du climat est accompagné par un changement d'humeur, entre irritation occasionnelle (quelques jours de pluie au coeur de l'hiver qui viennent briser la magie de la neige et le cocon qu'elle créée) ou un instant de magie qui rappelle que chaque instant est précieux.
Bass associe sans cesse la magie à son bonheur et son émerveillement dans la Vallée de Yaak, ses animaux, leur adaptation aux saisons, ses impressions de lui-même au coeur de l'hiver s'adapter comme eux, devenant l'un d'eux...
Je crois que je pourrais encore écrire trois fois la quantité que je viens de confier. Je ne sais plus combien de livres de
Rick Bass j'ai lu, et je me réjouis, la gorge un peu serrée par la beauté et le sens de ce que je viens de lire, d'en avoir encore bien une vingtaine à découvrir. Chaque livre emprunté à la bibliothèque sera acheté en anglais, pour mon plaisir de les relire, et offert en français aux lecteurs de ma famille et de mes amis, parce que cette impression d'effleurer quelque chose d'aussi magique se partage sans fin.