Vous vous souvenez, dans « Faut pas prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages » (de
Michel Audiard), Charles le Téméraire (Bernard Blier) apprend à ses associés le retour de Léontine (Françoise Rosay) :
CHARLES LE TEMERAIRE : Messieurs, si je vous ai arrachés à vos pokers et à vos télés, c'est qu'on est au bord de l'abîme. La maladie revient sur les poules. Et si j'étais pas sûr de renverser la vapeur, je vous dirais de sauter dans vos autos comme en 40. le tocsin va sonner dans Montparnasse. Il y a le cholera qu'est de retour. La peste qui revient sur le monde. Carabosse a quitté ses zoziaux. Bref, Léontine se repointe. Bon, je récapitule dans le calme : On la débusque, on la passe à l'acide, on la dissout au laser et on balance ce qui reste dans la lac Daumesnil.
C'est à peu près ce qu'a dû penser Brasse-Bouillon (Jean Rezeau) en apprenant le retour de sa mère (Folcoche), après des années d'absence.
Car revoilà notre Folcoche adorée (enfin, pas tout à fait) : à peu près ruinée, trahie par son fils préféré (Marcel dit Cropette), elle tente un come-back impressionnant (oui, c'est le nouveau mot pour dire retour !). Peu de chance de tomber dans les bras de son fils, mais elle tente sa chance auprès de sa belle-fille Bertille et de ses petits-enfants. Là, elle est un peu déboussolée, car ces jeunes ont des façons de vivre et de parler qui la déconcertent quelque peu. Surtout Salomé, fille que Bertille a eue d'un premier lit. A peine adoucie, tout aussi calculatrice que par le passé, Folcoche va se trouver en face d'une situation inédite : pour une fois, elle ne va pas trouver en face d'elle soumission ou haine (les seuls sentiments qu'on ait pu ressentir face à ce monstre) mais une forme d'attention inédite : les enfants n'ont jamais connu d'elle que le portrait négatif que leur en a fait leur père. Peut-être la vieille dame indigne (comme dirait
René Allio) va-t-elle se laisser attendrir par la jeune génération, qui aimerait peut-être passer l'éponge ? Mmmmh, je ne parierais pas trop là-dessus, les mauvaises herbes repoussent toujours ! Tiens, en voilà un titre alternatif : « La mauvaise herbe » ! Mais «
Cri de la chouette » est bien trouvé : je ne vous dis pas qui est la chouette, vous le devinerez assez bien, mais comment qualifier son cri ? Un cri de peur, de vieille femme qui voit s'effilocher tout ce qui a été pendant des décennies un pouvoir autoritaire, arbitraire, égoïste et dévastateur ? Ou un cri de peur devant la mort qui se profile ? Ou un cri de désespoir - peut-être – de n'avoir pas su, ou pu, renouer quelque peu la relation avec son fils ? Ou alors un dernier cri de rage, de haine, qu'elle crache à la figure de toutes ses victimes… Il y a sûrement un peu de tout ça dans «
Cri de la chouette ». L'âme humaine est insondable : le bien et le mal sont mélangés dans des proportions variables, mais il y a toujours du bien, et toujours du mal : rien n'est jamais tout blanc ou tout noir.
«
Cri de la chouette » n'est pas le roman de la rédemption. Ni pour les uns ni pour les autres. Finalement c'est la disparition de Folcoche qui met fin au cauchemar : celui de sa famille, sans doute, mais peut-être aussi le sien, qui sait ?
«
Vipère au poing », «
La Mort du petit cheval » et «
Cri de la chouette » composent une trilogie saisissante sur une relation parent-enfant plus que particulière, et sans doute bien plus complexe que ne le dit l'auteur. Bien qu'il ait écrit bien d'autres succès,
Hervé Bazin restera connu grâce à Folcoche, devenu un mythe, comme la Madame Lepic de « Poil de Carotte », ou la mère dans « Jacques Vingtras ».
Et pour nous, cette mère indigne aura toujours le visage ingrat d'Alice Sapritch (Catherine Frot est sans doute une grande actrice, mais passer derrière la grande Alice dans ce rôle, était une gageure insurmontable).