Tu m'étonnes que cette pièce ait été censurée par Louis XVI !
Par effet Streisand* presque deux siècles et demi plus tard, c'est la censure qui m'a amenée à vouloir découvrir cette pièce de
théâtre. Je me demandais à quoi ressemblait la critique politique des lettrés en cette époque où l'on est encore sous une monarchie absolue, mais où les prémices de la Révolution se profilent.
Le personnage de Figaro est la voix
De Beaumarchais pour s'exprimer en politique. Archétype du valet fourbe que l'on trouvait aussi chez
Molière, il envoie à la pelle des piques aux hommes de pouvoir : « Je me crus trop heureux d'en être oublié, persuadé qu'un grand nous fait assez de bien quand il ne nous fait pas de mal. »
Il défend aussi la condition des gens du peuple : « Aux vertus qu'on exige dans un domestique, Votre Excellence connaît-elle beaucoup de maîtres qui fussent dignes d'être valets ? ».
Sa propension à comploter, espionner et tremper dans des combines lucratives rappellent beaucoup la vie
De Beaumarchais lui-même.
Mais très vite, les apparitions de Figaro se font plus rares. Il s'efface derrière le trio formé par Almaviva (sauveur), Rosine (victime) et Bartholo (bourreau), dont les personnages sont beaucoup plus inoffensifs.
Ils sont tous très caricaturaux, et c'est ce qui fait le charme et la simplicité de cette pièce. Pendant qu'Almaviva se morfond d'amour pour une femme qu'il a à peine vue (et de tristesse d'être né noble), Rosine bat des records de naïveté à changer d'état d'esprit dès que quelqu'un lui parle, et Bartholo croit percer à jour les plans des tourtereaux mais se fait mener par le bout du nez ; et son complice Bazil l'est par le bout du sou.
Figaro a beau se faire discret en arrière-plan, il n'en reste pas moins le protagoniste le plus important en terme d'avancée de l'intrigue, car ce sont ses combines qui permettent le triomphe final des deux héros. le titre l'annonce d'ailleurs comme personnage central, car
le barbier de Séville c'est bien lui.
Cela en fait un être ambigu : omniprésent par ses actions mais apparaissant si peu sur le devant de la scène, bienveillant bien que présenté comme louche, héroïsé malgré le fait qu'il agit malhonnêtement... et il proclame haut et fort sa hantise des puissants sans toutefois l'assumer jusqu'à les désigner nommément.
Je m'étonne d'à quel point les critiques politiques ne sont en rien comparables avec la virulence que l'on connaît de nos jours quotidiennement. le ton reste toujours léger, drôle et gentiment subversif. Ces critiques paraissent presque trop polies !
Ainsi, ce n'est pas l'histoire de Figaro, mais c'est lui qui permet aux héros de vivre leurs propres histoires sans être dérangés par les tyrans. Par extension, c'est sa philosophie de liberté et d'irrévérence qui permet à des histoires, fictives ou réelles, de faire triompher les personn(ag)es méritant(e)s. Il s'agit d'une jolie mise en abîme.
En conclusion, il s'agit s'une petite pièce sympathique au style de l'époque mais parfaitement lisible, avec pas mal de rebondissements, de l'humour, et qui est intéressante pour son aspect historique.
*L'effet Streisand désigne un phénomène médiatique à savoir que la volonté d'empêcher la divulgation d'une information que l'on aimerait celer — qu'il s'agisse d'une simple rumeur ou d'un fait véridique — déclenche le résultat inverse.