Citations sur Mémoires d'une jeune fille rangée (410)
Séparée d'autrui, je n'avais plus de lien avec le monde : il devenait un spectacle qui ne me concernait pas. J'avais renoncé successivement à la gloire, au bonheur, à servir ; maintenant je ne m'intéressais plus même à vivre.
La littérature permet de se venger de la réalité en l'asservissant à la fiction; mais si mon père fut un lecteur passionné, il savait que l'écriture exige des rebutantes vertus, des efforts, de la patience; c'est une activité solitaire où le public n'existe qu'en espoir. Le théâtre en revanche apportait à ses problèmes une solution privilégiée. L'acteur élude les affres de la création; on lui offre, tout constitué, un univers imaginaire où une place lui est réservée; il s'y meut en chair et en os, face à une audience en chair en os; réduite au rôle de miroir, celle-ci lui renvoie docilement son image; sur la scène, il est souverain et il existe pour de vrai: il se sent vraiment souverain.
Je songeais au passé comme à un paradis perdu. Renaîtrait-il ? Le monde ne me semblait plus un lieu sûr.
Mais son grand-père mort, ni Mme Larivière ni Mme Mabille ne se piquant de culture, il n'y avait personne pour dicter à Zaza des principes ou des goûts; elle fut amenée à penser par elle-même. A vrai dire, sa marge d'originalité était fort mince ; fondamentalement, Zaza exprimait, comme moi, son milieu. Mais au cours Désir et dans nos foyers, nous étions si étroitement astreintes aux préjugés et aux lieux communs que le moindre élan de sincérité, la plus minime invention surprenait.
Mme Mabille, à la naissance de Zaza, était déjà solidement installée dans sa condition de matrone ; spécimen accompli de la bourgeoisie bien pensante, elle allait son chemin avec l’assurance de ces grandes dames qui s'autorisent de leur science de l'étiquette pour l'enfreindre à l'occasion ; ainsi tolérait-elle chez ses enfants d'anodines incartades; la spontanéité de Zaza, son naturel, reflétait l'orgueilleuse aisance de sa mère. [...] Moi, si j'avais commis une incongruité, ma mère l'eût ressentie dans la honte : mon conformisme traduisait sa timidité.
Mademoiselle Fayet me raconta une anecdote ; on vantait devant un jeune homme à marier les mérites d'une jeune fille musicienne, savante, douée de mille talents : sait-elle coudre ? demanda-t-il. Malgré tout mon respect, je jugeai stupide qu'on prétendît me soumettre aux lubies d'un jeune homme inconnu.
Je croyais avoir accès aux plus hautes comme aux plus basses sphères de la société ; en vérité les premières m'étaient fermées, et j'étais coupée radicalement des secondes.
J’appris ce qui sépare la détresse de la mélancolie, et la sécheresse de la sérénité ; j’appris les hésitations du coeur, ses délires, l’éclat des grands renoncements et les murmures souterrains de l’espoir. Je m’exaltais, comme aux soirs où, derrière des collines bleues, je contemplais le ciel mouvant ; j’étais le paysage et le regard : je n’existais que par moi, et pour moi. Je me félicitai à un exil qui m’avait chassé vers de si hautes joies ; je méprisai ceux qui les ignoraient et je m’étonnai d’avoir pu si longtemps vivre sans elles.
Dans les livres, les gens se font des déclarations d'amour, de haine, ils mettent leur coeur en phrases; dans la vie, jamais on ne prononce de paroles qui pèsent.
Entre les bras de l'élu, la pure jeune fille se change allègrement en une claire jeune femme.