Comment être à la fois peintre de chambre et des antipodes ? Henri Matisse (1869-1954) résolut à merveille l’équation. D’Issy-les- Moulineaux à la Russie, de Nice à la Polynésie, du couvent des Oiseaux de Montmartre à l’Alhambra de Grenade, ses voyages ne furent pas qu’intérieurs ; c’est pourquoi la moindre de ses chambres peintes ou le plus modeste de ses visages invitent l’oeil à un périple fou. Le Centre Pompidou largue avec lui les amarres, pour une exposition d’autant plus troublante qu’elle se présente comme l’acmé d’une année confinée. «Matisse se cloître pour penser l’extérieur, pas pour penser la chambre. Il a vraiment cette dimension double, du voyage et du confinement volontaire», analyse Aurélie Verdier, commissaire de l’exposition. «Le Nord et le Midi. La raison et la déraison. L’imitation et l’invention. La brume et le soleil. L’inspiration et la réalité», chante Louis Aragon dans son Henri Matisse, roman, point de départ de cette exposition qui fait la part belle aux écrivains ayant célébré le peintre.
Matisse a près de 80 ans quand il entreprend son dernier chef-d’oeuvre, le chantier de la chapelle dominicaine du Rosaire de Vence, à l’invitation de son ancien modèle Monique Bourgeois, devenue depuis soeur Jacques-Marie. La Danse du Dr Barnes lui avait appris à enchanter l’architecture : il pousse ce savoir à l’incandescence dans cette petite chapelle perchée sur les hauteurs de Nice. Décors de céramique, vitraux, objets et vêtements liturgiques : c’est une oeuvre d’art totale, bercée de la douce lumière des ors, émeraudes et saphirs qui transforment les fenêtres en paysage marin. «Tout un orchestre de couleurs.» Matisse le libre-penseur a fait son dernier voyage.
Un monde parallèle où la perception des choses se fait plus délicate, moins aveugle, moins rationnelle.