La première fois que j'ai entendu parler d'
Emma Becker, c'était il y a presque dix ans. Je suis tombée sur sa bibliographie en traînant sur Babelio et j'ai eu eu un choc en lisant les résumés des livres qu'elle avait déjà écrit – Mr et
Alice. J'avais vingt-deux ans et une réalité venait de se concrétiser : des jeunes filles de mon âge ont des aventures avec des hommes qui pourraient être leurs pères. Pourquoi ? La question m'a obsédée pendant plusieurs jours et j'ai épluché tout ce que je pouvais apprendre sur cette jeune autrice de quatre ans mon aînée dont le parcours, inexplicablement, me bouleversait.
Mais je n'ai jamais cherché à lire un seul de ses livres. J'ai été tentée, peut-être par voyeurisme, ou bien par envie de comprendre le comment du pourquoi, le « qu'est-ce qu'on ressent », moi qui n'ai jamais eu beaucoup d'appétit pour le charnel, qui ai toujours eu peur des hommes et qui a finalement été dégoûtée de l'intimité à force d'abus et de jeux de pouvoir. Car j'avais aussi peur de ce que je pouvais trouver dans ces romans…
Et finalement,
L'Inconduite m'a été proposé en service de presse. J'ai accepté.
Comme je m'y attendais (je ne sais pourquoi), c'est un livre qui se lit avec aisance, malgré les (ou peut-être à cause des) sujets abordés : le sexe, le désir et la frustration (sexuelle mais pas que) au féminin. Et comme je m'y attendais (je pense), j'ai été tiraillée entre deux pôles pendant cette lecture :
- d'un côté, j'ai été ennuyée par ces ergotages sans fin, ce nombrilisme étrange, et cette histoire qui n'avance pas ! Emma veut une bite bien dure qui la possèdent salement, elle va de déconvenue en déconvenue pendant les deux premiers tiers du roman, à la poursuite de fantasmes farfelus et de plans foireux, tout en jonglant avec ses rentrées d'argent, son rôle de mère et de compagne, le programme « sois gentille et serviable » que son éducation a incrusté dans son cerveau et qui l'empêche de dire sa colère, son coeur qui s'attache (parfois), ses limites, son « non » ; et je dois avouer que c'est répétitif et fatiguant. Une partie de ces problématiques me passe non seulement au-dessus de la tête, mais je me pose aussi des questions sur le voyeurisme que ce genre d'écrit implique : écrire sur sa propre vie sexuelle, pourquoi pas ; mais se faire publier pour ça ? Exposer en long en large et en travers ses déboires intimes et en profiter pour régler ses comptes avec ses partenaires ? Rares sont ceux qui n'en prennent pas pour leur grade, et le processus me met extrêmement mal à l'aise (après tout, « écrire, c'est une façon de parler sans être interrompu » et donc : d'avoir le dernier mot). Elle avoue elle-même avoir été furieuse de se découvrir personnage dans un livre écrit par un plan-cul, d'avoir lu des scènes interprétées du point de vue de l'auteur et présentées comme unique vérité. Pourquoi faire la même chose ?
- de l'autre côté, j'ai eu le coeur serré de voir cette relation au corps, au cul, à l'autre, qui, quelque part, me fait écho. Beaucoup plus fort que ce que je pensais. Combien j'ai été touchée de la voir presque esclave du désir de ses partenaires, combien j'ai été révoltée de l'attitude de ces hommes qui profitent (sans doute inconsciemment, mais cela n'excuse pas) de cette servitude apprise, de ce conditionnement à plaire, à obéir, pour assouvir leur fantasmes !
Il n'y a pas si longtemps, j'ai été dans une telle détresse affective que je recherchais tendresse et intimité avec l'énergie du désespoir, presque persuadée que je mourais de solitude si je n'avais pas de partenaire. J'ai tenté plusieurs aventures (parfois en même temps), affamée de chaleur humaine et résignée à écarter les cuisses pour obtenir ce dont j'avais besoin. Une période noire, dans laquelle je me sentais en errance, et où chaque tentative pour sortir la tête de l'eau (par l'expédient d'une histoire sexo-affective) me blessait un peu plus car se terminant nécessairement par un abandon, un refus de présence, une sexualisation de mon corps au détriment du lien affectif. Et dans les pires des cas : une séduction qui ne débouche sur absolument rien (cf. « Vincent »). Plus bonne à rien, pas même à plaire, tout est à jeter, mais ils sont trop polis pour le dire à haute voix, c'est à moi de le deviner à travers la distance physique, les regards évitants, les blancs pesants, et c'est peut-être cela le pire : faire comprendre sans dire.
C'est bien cette époque particulièrement douloureuse que l'histoire d'Emma me rappelle, et ça me serre le coeur de voir que d'autres l'ont vécu, le vivent encore, et ça m'indigne parce que je finis par comprendre que chaque être humain a droit au respect, homme comme femme, et que c'est triste et injuste que la majeure partie des femmes (et certains hommes) soient encore conditionnés à faire passer les besoins des autres avant les leurs. On peut légitimement parler de rapport non-consenti, et donc de viol.
Ce qui me choque dans son histoire (qui est un reflet de notre société), c'est la banalisation de l'abus. C'est la position dominante de ces hommes plus âgés, plus puissants, plus assurés, c'est l'évidence avec laquelle ils demandent et elle se plie. Souvent sans y trouver du plaisir. En avalant en même temps sa colère et leur foutre, son indignation et leur plaisir, sa détresse… Mais jamais le terme d'« abus » n'est énoncé, tout se déroule en toute légitimité : presque jusqu'à la fin, j'ai eu la sensation que l'autrice validait ce fonctionnement. Et je ne peux pas être d'accord avec ça.
En conclusion : malgré certains sujets intéressants, le bilan n'est pas spécialement positif. Même si le livre se lit aisément, qu'une partie de ce que raconte Emma m'a touchée et révoltée parce que faisant écho à mon histoire, un bon 60 % m'a non seulement laissée de marbre, mais encore indignée, voire dégoûtée (certains détails sordides de parties de jambes en l'air, loin de m'émoustiller, m'ont donné envie de vomir). En réalité, je ne comprends pas qu'on puisse publier sur sa propre vie sexuelle. Cela demande sans doute une certaine dose de courage et d'effronterie que je ne possède pas.
Le dernier tiers du roman laisse cependant la part belle aux réflexions sur la dépendance émotionnelle, aux rapports de force entre hommes et femmes, et je referme ce livre sans aigreur.
Merci aux éditions J'ai lu pour ce service de presse, qui m'a sorti de ma zone de confort et m'a apporté des réflexions intéressantes.