On nous dit cupides, nous ne sommes que condamnés à croître pour rester riches. Comment pourrais-je m'affranchir de la passion de croître ? A quoi d'autre m'efforcerais-je qu'à de nouveaux profits ? L'argent n'est bon à rien. L'argent n'est bon qu'à se conserver ou se fructifier. Un actionnaire n'est pas vil, ou s'il l'est c'est égal. Il ne ressent pas de plaisir particulier à rayer une usine de la carte, ou s'il en ressent c'est égal. A vrai dire le faisant il n'éprouve ni jubilation ni contrition, n'ayant aucune idée concrète de ce qu'il mobilise. Simplement son portefeuille ne se gère que dans un sens. Le déprécier serait un contresens. Le vider reviendrait à mouiller un parapluie. Nous ne sommes pas fautifs. Nous sommes des victimes. Nous sommes possédés par nos richesses.
Des mots en age. Il observe que dans le tertiaire, ils n'en ont pas de ces mots-là, qui désignent une tâche une vraie. À part enculage. De mouches.
Devant On n’est pas couché, il se remémore les aisselles pileuses de sa mère, et de toutes les adultes qui passaient à la maison l’été. Ça ne choquait personne, et même peu s’en fallait que ces poils participent de leur féminité. Aujourd’hui le même spectacle chez une voisine de café l’indisposerait, le porterait à lui signaler que quelque chose dépasse, comme on signale un bout de salade collé aux dents.
Elle fait rouler son fauteuil sur le côté pour casser la séparation du bureau. Ils parleront d’égal à égal. Le body language est l’espéranto des bienveillants.
Romain ne se résout pas à abandonner ces gens à l’intervention virile d’une compagnie de CRS. Sa conscience, sur laquelle ses nuits insomniaques font déjà peser une mort, atteindrait son point d’intolérance, situé assez bas du fait d’une éducation humaniste mâtinée de catholicisme breton. Soutenant ces prolétaires africains, Romain obéit à sa complexion morale. Il n’a pas le choix.
La dignité et le masque de la docilité. C'est se coucher qui n'est pas digne.
Les délégués syndicaux déposent un préavis de grève illimitée une semaine avant Noël. Espérons que la direction appréciera le cadeau, plaisantent-ils. En revanche pour le sapin faudra repasser. A moins d'en faire un cercueil.
Jules applaudit: être payé à ne rien foutre est la réalisation ultime d'une vie d'anarchiste. En général seuls les riches y parviennent, et encore, on en connaît deux ou trois qui travaillent. Non vraiment cette performance mérite une autre bouteille.
Il faut entendre le mépris dans la louange d'un riche à un pauvre. Il y est toujours. (p.273).
Jamais faiblir, jamais faillir. C'est le revers de l'indépendance, la part maudite de l'adrénaline commerçante: si chaque seconde travaillée est un gain, chaque seconde non travaillée est une perte. (pp.160-161)