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Le roman à double temporalité, hier et aujourd'hui, et à double point de vue (première et troisième personnes) retrace la morne existence de Marie, une femme suffisante et aigrie.

Une histoire de choix ? Entre ses deux fiancés, Marie a-t-elle choisi le bon ? Quel aurait été son quotidien aux côtés d'Hervé, si elle n'avait pas épousé André ?

Auprès d'un mari falot qu'elle méprise, Marie s'ennuie. Entre eux aucune passion, la routine. Peu à peu Marie devient envieuse, égoïste, méchante.

Aujourd'hui Marie est une vieille femme pingre, toujours avare de sentiments, nourrie de rancoeur et d'amertume. André non plus n'en a pas pour longtemps… Alors Marie calcule…

Ce roman très sombre, d'une plume presque clinique, nous tient captifs d'un certain suspense.

Le personnage de Marie n'incarnerait-il pas la mauvaise conscience qu'il nous arrive d'éprouver, lorsque certains regrets viennent polluer notre affect, supplanter nos rêves et nos désirs ?

Toutes proportions gardées, ce roman d'Hervé Bel m'a fait penser à certains textes de Sorj Chalandon.
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Un texte qui surprend et captive, qui dérange et secoue tout autant, et qui m'a laissée un peu sidérée parce qu'il trace le portrait d'une femme machiavélique que je n'ai cependant pas pu détester. le monde de Marie s'est réduit drastiquement au fil des ans. Sa vie est définie par des rituels contraignants mais réconfortants. Tout ce qui l'entoure doit être impeccablement à sa place et rien ne doit s'écarter de l'ordre établi de son existence. A ses côtés, André, son mari, est très fragilisé, mais Marie ne croit pas qu'il soit souffrant. Elle est persuadée que ce petit professeur sans grande ambition, qui ne l'a jamais comprise, ne cherche qu'à lui nuire. Ah, si la vie n'avait pas été si injuste et les autres si ingrats, elle aurait pu accomplir certaines choses et devenir "quelqu'un". Elle en est convaincue, Marie, qui s'est peu à peu isolée avec ses délires et a fait de sa vie un film qu'elle est la seule à regarder. Elle reçoit certes de l'amour et des attentions généreuses, mais elle ne les voit plus, aveuglée qu'elle est par sa méchanceté, ses vilenies et son égoïsme viscéral. Ce jour-là, c'est toute sa vie que Marie voit défiler, entre amertume et suffisance, mais ce jour-là, tout va changer ...
Une chouette plume que j'ai découvert avec ce roman qui transpire la noirceur (et qui m'a fait penser aux personnages de Julien Green ou Emile Zola), un roman sur la vie d'un couple construit sur les silences et les non-dits.

''Il n'y a plus que la cuisine et le mari, le ciel gris derrière la mousseline des rideaux, et ce présent dont il faut bien se contenter. Ce présent est sa prison. Plus jeune, elle l'a supporté parce que, concevant l'avenir comme un espace vierge, un monde à lui tout seul, elle a cru que celui-ci prendrait un jour la place de celui-là et changerait le goût de sa vie. Mais le temps n'a fait que traverser son corps. Il est passé, la laissant là, inchangée avec sa façon d'appréhender les choses et les gens. L'avenir s'est rétréci tellement qu'il s'est confondu avec le présent et empêche désormais toute espérance de se déployer.''
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Marie aurait pu avoir une vie heureuse, simple mais heureuse. Mais c'était compter sans son insatisfaction chronique qui de l'enfance à la vieillesse a lentement mais sûrement empoisonné son quotidien. Sans son orgueil démesuré, sa jalousie. Manipulatrice, mesquine, incapable de donner sans reprendre aussitôt, soufflant le froid et le chaud, rendant malheureux tous ceux qu'elle prétendait aimer. Choyée par un père qu'elle adorait, vilipendée par une mère froide et peu aimante à laquelle elle voudra ne jamais ressembler, son besoin éperdu de reconnaissance l'a conduite à vouloir tout contrôler dans sa vie et celle de ses proches. Tout entière à son obsession du paraître, elle en a oublié de vivre tout simplement et pourtant aussi étrange que cela paraisse, elle a toujours été responsable de ses choix, quitte à s'en plaindre amèrement ensuite...

C'est un huis-clos étouffant, un portrait de femme terriblement dérangeant, une peinture de la vieillesse dans ce qu'elle peut avoir de plus sordide, de plus triste. Une écriture aiguisée comme un scalpel pour l'autopsie d'une vie.
L'écriture d'Hervé Bel est d'une grande finesse et nous offre un portrait sans concession ni jugement terriblement réaliste avec une héroïne monstrueuse et fascinante, si insupportable, si forte et si fragile à la fois...
Rien dans le personnage principal n'est attirant et ne suscite la compassion, pourtant l'auteur réussit le tour de force de captiver le lecteur jusqu'au dernier chapitre, apothéose du naufrage de son héroïne...
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Lu dans le cadre des 68 premières fois
Une voix de femme octogénaire, Marie, évoque en une journée sa vie.
On entre dans l'intimité de cette femme suffisante, cruelle, qui s'est égarée dans ses désillusions et sa rancoeur. Elle s'immerge dans l'exigence, l'abjection, les immondices (au sens propre et figuré) en attendant cette fin, en prenant soin de mépriser André avec lequel elle a choisi de passer toute une vie. Cette vie à côté de laquelle elle est passée, cet homme qui ne fait que la contrarier jusqu'à simuler une maladie !
Elle s'enferme et on assiste avec fascination à leur destruction.
C'est sordide, immoral, dérangeant… J'adore !!!
Le Livre de Poche
Lien : https://blogdelecturelepetit..
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Lecture très particulière ….
Marie traverse sa vie de mécontentements en mécontentements
Tout y passe , sa condition , son mariage , son mari minable , ses enfants peu désirés etc ...
Tout n'est que critiques , désillusions , jalousies , regrets
Rien ne la contente
Ce n 'est pas un moment de lecture désagréable , mais on reste effaré par l'existence ( fort possible ) , d'une femme ( ou plutôt un monstre ) vraiment détestable !
Pauvres André , Pierre et Michel !!!!
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Si la pandémie - ou tout autre sujet - vous lamine le moral, passez votre chemin. Attention, livre déprimant. Surtout si vous réunissez les symptômes suivants : rébellion contre le vieillissement, saturation côté couple, insatisfaction généralisée, tendance à un bovarisme aggravé par l'aigreur et la mesquinerie.

Car ce roman, écrit par un homme, (mais qu'a-t-il bien pu vivre ou observer!) met en scène une sorte d'Emma, revisitée par Hervé Bazin et sa Folcoche, ou bien par la comtesse de Ségur et la MacMiche.

Elle s'appelle Marie (et non, je ne vous dirais pas que c'est l'anagramme d' « aimer », comme dit joliment Ronsard), et donc on aurait pu s'attendre à de la douceur et à de l'amour. Raté ! Marie est une vieille revêche, mariée à un instituteur falot nommé André, alors qu'elle est fille de commandant aux armées au Moyen-Orient dans les années 30. A eux la belle vie, réceptions et frous-frous, boys et grande maison. Les « coloniaux » comme on disait alors, avaient la belle vie. Enfin, certains.
Et au lieu d'épouser le fils du Général, chef de son papa, elle a choisi l'instit. La bourde ! Petit fonctionnaire à la retraite maigrichonne, qui aurait pu devenir directeur d'école (ça pose un peu, quand même, surtout dans la petite ville de Linteuil), André ajoute à sa médiocrité le fait d'être malade, très mal en point, le cancer lui ronge les poumons mais il ne va pas aller voir le médecin, trop cher. Et que diraient les gens ?

Car on retrouve ici tout ce qui fait la médiocrité de ces petites âmes : la peur du qu'en-dira-t-on, l'économie poussée à l'extrême (elle fait sécher les filtres à café en papier pour les réutiliser!), le désir de « paraître » surtout devant les « gens bien », et surtout, cette frénésie d'argent qui la fait entasser billets et bons du Trésor sous les sacs de charbon. Car chez ces gens-là, Monsieur, on anticipe.

Et l'amour dans tout ça ? Amoureuse au début de son André, il l'insupporte maintenant (le pauvre homme n'ose même pas exprimer sa douleur, alors qu'il souffre comme un damné), elle se laisse émouvoir par un Dr Python (sic!) mais au final on ne conclut pas. Pourtant, ça en aurait jeté, un amant docteur.

Déçue de sa vie médiocre, persuadée que personne ne l'aime (en même temps...), s'attachant comme une dingue à son premier fils, Pierre, souffrant d'une jalousie folle quand elle voit que son mari s'entend bien avec ses enfants, voire même, rit et joue avec eux, notre provinciale déchue n'aime personne, ne prend soin de personne, tout en se faisant passer pour généreuse, dévouée, etc.

Le livre est drôle à force d'être cruel, on n'arrive même plus à s'apitoyer sur les personnages, mari et enfants maltraités, relations et voisins bernés. Si tout de même, le dernier tableau soulève un peu le coeur, de dégoût et de compassion tardive.

Ma conclusion : par ces temps moroses, mieux vaut en rire qu'en pleurer. Mais quand même...
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Un roman à nouveau original dans son écriture et son mode narratif comme dans le fil du récit...

On ressort de ce livre de 360 pages avec un sentiment de grande tristesse tant les mots y sont crus, à l'image des rapports qu'entretient Marie, la narratrice, avec sa famille et son récit familial. Issue d'une famille de militaires coloniaux indochinoise prestigieuse, une certaine haute société, Marie s'éprend très jeune du charmant André Seudécourt, pour lequel elle nourrit les rêves d'un destin idéal de grandeur, même si simultanément la rencontre du brillant militaire de carrière Hervé Perrot la trouble au point de douter de son projet initial...

Un orgueil démesuré, une fierté mal placée, une éducation et l'habitude d'un milieu social assez élevé, Marie ne veut voir dans cette union qu'un destin hors pair.... un mari forcément promis à un poste de directeur d'école, au coeur d'une communauté de membres triés sur le volet, la volonté de retrouver les habitudes de la haute société militaire et coloniale, un petit monde select qu'elle s'imagine recréer....tout tombe à l'eau.... André s'avère être falot, aimant certes mais de peu d'ambitions, assez lâche en fait à l'opposé du père de Marie qu'elle idolâtre. Il va rester simple instituteur ..... bref le cauchemar pour Marie, pire un obstacle à la reconnaissance sociale tant espérée. 

De cette union naîtront deux enfants, deux garçons ; Pierre et Michel.... décue de son quotidien, Marie reporte tout son amour assez exclusif et castrateur tout d'abord sur Pierre, une enfant brillant,  Saint Cyrien, bien sûr, dont elle attend l'exclusivité de tout sentiment mais qui là aussi va se révéler indépendant dans sa vie privée et dans son choix de carrière. A la mort de celui-ci tué en Algérie et même pas en héros, c'est sur Michel le cadet qu'elle veut nourrir les plus hautes ambitions, même si Pierre reste l'enfant idolâtré de Marie.... là encore il va se construire une vie beaucoup moins prestigieuse, épouser une femme de peu aux yeux de sa mère....très vite la rupture sera consommée et bien entendu pour Marie, elle l'est par l'influence forcément nuisible de sa belle - fille. C'est la déception de trop et Marie va nourrir ses rancoeurs et ses propres échecs, la faute aux autres, à ses fils et à André.... bien sûr. Refusant tout confort, accumulant en avare tout l'argent du couple comme de ses parents, s'installer et obliger son pauvre mari à vivre dans la crasse la plus insupportable et la plus solitaire possible... Personne ne trouve grâce à ses yeux, tout le monde est coupable de l'avoir plongé dans une vie de médiocres.....responsable de son mauvais choix originel.

Un personnage particulièrement abject et ingrate, cette Marie Seudécourt, castratrice, bourreau de son mari et d'elle -même. Hervé Bel est particulièrement inspiré dans ce roman, les traits, les personnages, les débats intérieurs, la haine distillé par Marie tout sonne juste et nourrit le sentiment d'un malaise croissant chez son lecteur.
Lien : http://passiondelecteur.over..
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Hervé Bel : « Les choix secrets ».

Marie est une vieille femme vivotant avec son mari malade et très affaibli, dans un petit village isolé de Bourgogne.Chaque jour monotone s'écoule doucement et lui permet de se replonger dans sa vie passée, pleine de rêves brisés et de drames .
Choyée par son père, diplomate, durant sa jeunesse dorée en Indochine, elle tombe amoureuse d'Andre, jeune instituteur de village pendant ses vacances. Malgré la cour pressante d'un jeune officier plein d'avenir, elle préfère rentrer en France et se marier avec André contre l'avis de sa mère, peu aimante. Elle devient mère au foyer dans une petite ville triste , son mari ayant peu d'ambition. Elle se sent constamment insatisfaite et envieuse, menant une vie monotone, fade. Elle aura deux fils mais ils ne répondront pas à ses attentes de gloire et reconnaissance. Ainsi elle finit sa vie seule avec André, qu'elle n'a peut-être jamais réellement aimé.
C'est un livre terrible sur la vieillesse, sa tristesse, son délabrement physique et intellectuel ; certaines pages sont difficiles , la déchéance de ce vieux couple m'a bouleversé.
Le portrait de Marie est ciselé, sans complaisance ; celle-ci est orgueilleuse, soucieuse plus du paraître que de sa famille, pingre au possible, odieuse avec ses proches , aigrie toute sa vie. Pourtant, l'auteur réussit à nous la rendre fragile, sensible malgré sa monstruosité.
Quelle audace de dérouler un personnage aussi repoussant et méchant , avec une écriture classique et élégante , relevant chaque détail de cette petite vie étriquée.
J'ai eu beaucoup de peine pour André, ce mari mal aimé, peu causant , mais aimant avec ses enfants et si maltraité par sa femme ; le dernier chapitre est saisissant de tristesse et de misère affective.
Même si très dérangeant, ce récit est saisissant et intense.

Merci aux 68premieresfois pour cette découverte.

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Qui lira ce roman se rendra vite compte que le destin ne nous tombe pas dessus au hasard des karmas. Si on analyse le parcours de notre héroïne, on se demande rapidement si ces choix mentionnés par le titre, elle les fit réellement… Oui elle s'était entichée de celui qui allait devenir son époux, oui elle avait choisi entre deux hommes… Bon choix ? Mauvais choix ? peu importe, car son destin, ce sont son entourage, la société de l'époque, son milieu qui l' avaient probablement tracé avant même qu'elle ne vienne au monde : les études ? oui ! Chez les soeurs, afin de faire d'elle une bonne épouse qui resterait à la maison pour cuisiner pour Monsieur et repasser les draps du ménage… Quelques passages montrent bien comment on la conditionne… Et l'analyse psychologique qui suit est des plus intéressantes : Madame se marie par amour pour celui qu'elle ne connaissait peut-être pas vraiment, Madame s'aperçoit que ce n'était peut-être pas cet homme là qu'il lui fallait, surtout qu'on l'avait élevée dans un milieu aisé, et que le salaire d'un instituteur… !!!

Et Madame s'ennuie, alors elle tente de paraître, elle organise des thés, dédaigne les réunions mondaines dans lesquelles elle n'est pas invitée, Madame perd son goût à la vie, alors elle devient envieuse, égoïste voire méchante avec son mari, ses enfants… Madame en veut à la terre entière...



Une vie bien triste, la vie d'une femme qui est devenue une prison pour elle-même, une femme qui peu à peu deviendra nocive…

Une source de réflexion pour tous les lecteurs qui liront ce roman noir au risque d'en sortir un peu choqués.


Respect pour cet auteur qui en exposant un tel destin, nous livre une leçon de vie.



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"La vraie vie est absente." - Arthur Rimbaud, Une saison en enfer

"L'âge, c'est l'impossibilité de goûter à la nostalgie. À peine née, elle se recroqueville, se dissout, et c'est la mort que l'on voit au bout. Elle seule. À côté, toutes les simagrées sentimentales ne signifient plus rien. La tristesse, c'est encore la vie, l'espérance. le désespoir, c'est autre chose, une plainte aride où le pleur est dérisoire."

Autant le dire tout de suite, je suis abasourdie de la finesse avec laquelle Hervé Bel donne corps à ses personnages féminins. Depuis Marie Seudécourt de ces Choix secrets paru en 2012, il y a eu Sophie Megnier de la Femme qui ment (2017) et vient de paraître cet été Erika Sattler et c'est chaque fois l'admiration devant ces portraits singuliers de femmes d'une justesse rare.

Pour le moment, nous voilà condamnés, condamnés oui, à passer non pas une saison en enfer, Dieu merci ! mais une seule journée avec Marie, 80 ans, recluse dans sa maison de province auprès d'André son mari depuis 50 ans affaibli par la vieillesse et la maladie au point qu'il peine à se nourrir et se mouvoir. Une unité de temps, de lieu, d'action qui rappellerait la tragédie classique, sauf qu'à l'occasion de chapitres rétrospectifs, l'action se dilate alors que le temps se déploie comme on visite les lieux que fréquentait la jeune Marie Cavignaux au gré des affectations de son père, comme on revient sur sa vie de femme mariée en France.

En Indochine, l'exotisme d'une contrée lointaine le disputait alors à l'oisiveté d'une vie dorée, à l'étourdissement des bals et aux traditions qui accordaient la vie des familles aisées et de leurs enfants bien nés.

"Marie sut bien vite prendre goût à cette vie, à ces journées où on ne faisait rien, mais qui passaient si vite en compagnie de jeunes filles de son âge et d'officiers."

S'intercalent les chapitres du présent où Marie se lamente "jamais ne s'arrête… ratiocine, dissèque, déchire, pique, insulte, pleure, hurle, proteste, décime, tue, dans une ronde sans fin, chaque mot en appelant un autre, dans un apparent désordre" remâchant ses espoirs déçus.

Quant au futur… peut-il y avoir un futur quand il n'y a pas d'horizon ?

La vie de Marie est désaccordée. L'amertume tord sa bouche, assèche son coeur et aigrit chacune de ses journées. Marie monte au calvaire portant ses choix comme une croix de plomb.

"J'ai raté ma vie, j'ai raté ma vie, il me manquait un homme. […] André a toutes les qualités nécessaires au bonheur d'une institutrice, mais pas du mien."

Épouser André Seudécourt était son choix, "souffrant presque de ne pouvoir lui faire comprendre davantage combien elle l'aimait", un choix qui a infléchi toute sa vie avant de la gangréner.

Pourquoi avoir choisi André ? Il faut dire que sur le bateau qui la menait en Indochine, Marie avait fait la connaissance de Hervé Perrot. Ce fils de colonel était promis à un bel avenir dans la Marine. de bals en réception, les deux jeunes gens ne manquaient pas d'occasions de se voir et, à l'évidence, se plaisaient. Mais la très jeune Marie s'était fiancée à André avant d'embarquer et, dans la France de l'entre-deux-guerres, on ne revenait pas sur un tel engagement, surtout quand comme Marie on était née dans une famille respectable.

"D'un côté, le ténébreux et bel André, une vie dont elle n'avait aucune idée ; de l'autre, Hervé, la quiétude, le confort, cette lettre romantique, et cette espèce de sentiment qu'elle ressentait maintenant, si proche, si semblable à l'amour."

Hervé partira en Chine et Marie rentrera en France pour épouser André, un instituteur fade auquel, très vite, elle reproche son manque d'ambition. Il est vrai que Hervé Perrot aurait fait un meilleur parti que ce fils de paysans, il lui aurait offert une vie autrement moins étriquée, celle "des gens naturellement à l'aise, d'une simplicité luxueuse, pas comme celle de Marie qui économisait sou par sou pour s'acheter des copies de vêtements chics, et passait son temps à mimer la simplicité pour ne pas avouer la vérité de sa condition de femme de petit fonctionnaire. C'est si simple d'être simple lorsque la vie n'est pas compliquée."

Dans la maison de cette petite ville, à longueur de journée, Marie laisse macérer ses humeurs rances et couve ses frustrations avariées. La naissance de ses deux fils aurait pu lui apporter une once de contentement, elle aurait pu s'épanouir en devenant mère. Elle avait placé toutes ses ambitions déçues dans leur réussite. Las, seul son aîné a réussi à trouver grâce à ses yeux. Quant à Michel le cadet, il n'est qu'un imbécile, un faible qui s'est fait mettre le grappin dessus par une garce doublée d'une intruse, forcément, dans le cercle très fermé de sa belle-mère.

À travers le personnage de Marie dans un récit que gouverne son unique point de vue, Hervé Bel fait le portrait d'une femme repliée sur son passé et confite dans son amertume, qui s'ingénie à gâcher la vie de ses proches au prétexte qu'elle a raté la sienne.

"Tout n'est qu'habitudes dans sa vie ; elles sont, à ses yeux, ce qui peut la perpétuer. Les rompre, c'est ouvrir le torrent du temps. Or c'est ce qu'elle ne veut pas. Elle se plaint depuis des années de son enfermement progressif, mais c'est elle qui l'a voulu, elle l'a voulu, elle l'a voulu à la façon des empires qui, pour durer, ne cessent de se rétrécir. de moins en moins de monde à voir, une réticence instinctive à voyager, la prégnance croissante de codes compliqués pour entreprendre les actes nécessaires de l'existence, une solitude peu à peu bâtie tout en s'en plaignant… Sans se rendre compte qu'en voulant se préserver de la mort elle s'en est approchée doucement, pour devenir une non-morte."

Et André ? Ah ! Elle avait bien raison Tante Jeanne de dire qu'il était "très obéissant ce garçon, presque trop. [qu'il faudrait] qu'il se dégourdisse un peu". La Seconde Guerre mondiale dont il est revenu en héros s'est chargée de dégourdir le jeune homme et je ne comprends pas qu'il ait pu par la suite se plier à la volonté inflexible de son épouse sans regimber. Des choix, André en a fait aussi. Pensait-il que jouer l'apaisement aplanirait les difficultés alors que cette attitude, dont la passivité confine à l'indifférence, n'a fait qu'exacerber la rancoeur de Marie à son égard ? Comment leur couple bâti peu à peu sur une aversion silencieuse qui, chez Marie, a pris toute la place, n'a-t-il pas volé en éclats ?

"Le grand drame de la vie de Marie, c'est de n'avoir jamais eu le sentiment de comprendre cet homme. Toujours, elle a eu cette impression qu'il était une matière molle qu'on peut enfoncer sans jamais rien trouver de dur."

Pourtant elle n'a eu de cesse de chercher ce "dur", rabrouant méchamment ce "petit instituteur" qui de toute évidence n'a jamais été à la hauteur des aspirations de sa "petite poule".

Une tuile (terme dont on appréciera au passage la polysémie) va sonner la fin de la partie car il faut bien se résoudre à faire appel au "petit cousin" Roger pour réparer la toiture avant qu'une averse ne fasse prendre l'eau à la maison et à tout le reste. Cette intrusion dans le quotidien étréci des époux Seudécourt va livrer aux yeux de tous, dans les dernières pages de ce roman glaçant à la tension croissante habilement maîtrisée, la crasse noire d'une maison à l'abandon et la décrépitude d'un mari humilié et maltraité. le fils sauvera son père sans un regard pour sa mère qui a vécu

"[…] dans cette illusion que le monde était un parterre et qu'elle était sur la scène, aimée de son public et elle, la vedette, tantôt indifférente, tantôt gentille, tantôt méchante, mais toujours pardonnée."

Toujours pardonnée ? Grand Dieu, non ! Impossible d'accorder un quelconque pardon à cette femme qui a creusé le sillon de son propre malheur et celui de ses proches, et pour laquelle je suis incapable d'avoir la moindre empathie. L'enfant trop gâtée a fait place à un monstre d'égoïsme et de méchanceté, une manipulatrice odieuse : un être abject.

Je ressors chamboulée de cette lecture dure où tout n'est que petitesse, insatisfaction, noirceur (celle de la crasse, celle des sentiments). Hervé Bel examine sans juger les comportements humains les plus vils dans ce récit dérangeant où il installe la tension patiemment et avec une rare intelligence.

Ce 2e roman, après La Nuit du Vojd, a reçu le Prix Horizon du 2e roman en 2014 et est le choix de Caroline Laurent pour cette sélection anniversaire 5 ans des #68premieresfois.


Lien : https://www.calliope-petrich..
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