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Critiques filtrées sur 5 étoiles  

«Je sens mon coeur et je connais les hommes. Je ne suis fait comme aucun de ceux que j'ai vus; j'ose croire n'être fait comme aucun de ceux qui existent. Si je ne vaux pas mieux, au moins je suis autre. Si la nature a bien ou mal fait de briser le moule dans lequel elle m'a jeté, c'est ce dont on ne peut juger qu'après m'avoir lu.» (Jean-Jacques Rousseau, «Les Confessions»)

Trois National Book Awards - un record absolu ! -, dont un pour l'ouvrage en question (1965), un prix Pulitzer et un Nobel (1976) : voilà un curriculum d'écrivain qui en impose!!
Père putatif par ailleurs d'une ribambelle d'écrivains anglo-saxons à partir des années 60, la notoriété de Saul Bellow semblerait toutefois en perte de vitesse de nos jours (à titre indicatif : 650 lecteurs recensés sur le site de Babelio), nettement moins éminente en tout cas, pour ne citer que deux de ses plus célèbres héritiers, que celles par exemple d'un David Lodge (5 500 lecteurs) ou du plus fidèle parmi tous ses nombreux rejetons, Philip Roth (plus de 14 000 !).

Cela étant, et ceci l'expliquant peut-être en partie, lire un roman comme «Herzog», c'est se soumettre de plein gré à un véritable électrochoc littéraire!!
Le lecteur avance dans la lecture, en effet, quelque peu à l'image de son personnage central, par saccades et par syncopes, alternant des moments de grande exaltation de ses capacités cognitives, et d'autres durant lesquels, ses circuits neuronaux à moitié engorgés par «l'immense et informe intérêt pour l'histoire de la pensée » manifesté par Moses Herzog, il frôlera de près la rupture de sens!!
Le pire (ou le meilleur, au choix…), c'est qu'à l'instar de lui, on s'en moquera bel et bien!

« Si j'ai perdu la tête, ça m'est égal, songeait Moses Herzog ».
Par cet incipit narquois, nous sommes invités à pénétrer dans sa subjectivité, à nous faufiler discrètement parmi les coulées rhétoriques inarrêtables s'épanchant d'un for intérieur en pleine activité volcanique!!
Au moins, on vous l'aura prévenu !

Directement propulsés dans la conscience tourmentée de Herzog. Entre admiration et stupéfaction face à l'extraordinaire éloquence de l'écrivain, et parfois sidérés, donc, par ses fulgurances de très haute volée, toujours séduisantes néanmoins, très vivantes surtout (rien à voir, rassurez-vous, avec un pensum ou une quelconque démonstration philosophique figée), servies en l'occurrence comme l'on n'aura peut-être jamais vu auparavant dans la littérature contemporaine -moi en tout cas…- pas à un tel rythme endiablé, avec autant d'aisance et d'agilité idéative ! Divertis en même temps, dans la même proportion, par une ironie irrésistible et un impayable «sens of humour» juif omniprésents, appliqués sur l'exercice d'auto-observation que son «Moshe» s'obstine à mener sans la moindre concession autour de la crise majeure qu'il est en train de traverser, personnelle et professionnelle, déclenchée par sa débâcle affective et par son sentiment d'échec en tant qu'intellectuel et universitaire, quadragénaire en mal d'inspiration pour boucler un travail de recherche mené depuis de longues années («huit cent pages d'un exposé chaotique qui n'avait jamais trouvé d'unité»), et mari largué par sa femme, trahi par son meilleur ami, son lot de misères et de drames ordinaires servant en même temps de contrepoint, quelquefois d'improbables écrins, à l'émergence d'exubérantes extrapolations d'ordre philosophique !

Après la lecture de Herzog, chef-d'oeuvre incontestable et inégalé en son genre, l'on pourrait être tout simplement tenté de reclasser Woody Allen (si tant est que, déjà «cancelled», il n'en ait été sorti une fois pour toutes!) plutôt dans le rayon «littérature jeunesse» de nos bibliothèques !

Mais soyons un peu sérieux tout de même…
Herzog traverse de toute évidence une crise dépressive grave, consécutive notamment à l'expérience pénible de la trahison de sa femme et de son meilleur ami, et contre laquelle il se défend avec les moyens dont il dispose et qu'il maîtrise le mieux, à savoir son intellect et son sens inné de la dérision…
L'exercice fait cependant très mal, et Moses en viendra à considérer qu'il avait peut-être, non seulement raté son «contrat» de vie, mais aussi complètement trompé sur sa vraie nature et sur l'image qu'il avait de lui-même.

«J'ai fait exprès de mal lire mon contrat. Je n'ai jamais été la partie principale, mais seulement prêté à moi-même. (…) Autant que j'admette les choses comme elles sont, ne serait-ce que parce que, sans cela, il n'est même plus possible de me décrire. Mon comportement implique l'existence d'une barrière contre laquelle je pousse depuis toujours, avec la conviction qu'il est nécessaire de pousser et que quelque chose doit en sortir. Peut-être finirai-je par pouvoir passer à travers? C'est une idée que j'ai toujours dû avoir. Est-ce de la foi ? Où simplement de la puérilité : s'attendre à être aimé parce qu'on a fait son devoir ? Si on recherche l'explication psychologique, c'est en effet puéril, un cas classique de dépression.»

Une fois le « contrat » le liant à son existence dénoncé et l'image qu'il se faisait de lui-même pulvérisée, Hertzog démissionne également de son poste d'enseignant. Retranché chez lui, évitant provisoirement toute forme d'engagement social ou affectif plus conséquent, il se voit entamer une procédure psychique nouvelle et à titre conservatoire (de sa peau avant tout). Une instruction censée au départ rétablir l'ordre dans ses pensées, ainsi que, bien sûr, les responsabilités engagés par les uns et les autres dans le chaos qui a envahi sa vie et sa conscience. Elle sera conduite essentiellement sous forme d'une correspondance compulsive, la plupart du temps à l'état purement virtuel, jamais expédiée au final, qui constituera par ailleurs l'une des principales récurrences narratives et, sans aucun doute, l'un des atouts majeurs du roman de Bellow.
Quoique restés lettre morte, de vrais morceaux de bravoure voient le jour, «rédigés » pêle-mêle à l'intention de destinataires encore vivants ou déjà morts, de sa famille ou de son entourage proche, amical ou professionnel -mais adressés aussi, entre autres, au président des États-Unis, à Spinoza, à Nietzche ou à Dieu lui-même..! Ces courriers expiatoires n'auront pourtant d'autre effet que d'alimenter la détresse d'un homme chuté, comme aurait dit le vieux Dosto, «dans le sous-sol d'une maison en flammes», l'amenant peu à peu à perdre la maîtrise de ses propres pensées et de ses actes.

Entretemps, le lecteur aura été pris à témoin d'une mise à nu en règle, menée par un homme, selon ses propres mots, dans un état de conscience « bizarre, mélange de lucidité et mélancolie, d'esprit de l'escalier, de nobles inspirations et d'absurdité, d'idées et d'hypersensibilité».
Examen de conscience radical qui, en l'espèce, outrepassera le domaine du strictement individuel ou du purement anecdotique, pour toucher à une dimension plus vaste et universelle, «Herzog» préfigurant un ton et des thèmes qui seront par la suite très présents dans une littérature contemporaine s'intéresserant de plus en plus à la crise de valeurs liée à la modernité (ou « postmodernité », si l'on préfère).
Ton qui chez Herzog prend souvent l'aspect sombre de celui d'un moraliste à contre-courant de l'optimisme général régnant alors dans la société américaine, fondé sur un libéralisme et un matérialisme économique effrénés qui ne peuvent, d'après lui, que conduire au pire.

«L'«état inspiré» est considéré comme ne pouvant être atteint que sous sa forme négative et donc poursuivi seulement dans la philosophie et la littérature aussi bien que dans l'expérience sexuelle, ou à l'aide de stupéfiants, ou encore par le truchement du crime «philosophique», ou «gratuit» ou autres horreurs du même ordre. (Il ne vient apparemment jamais à l'idée de semblables «criminels» que se conduire de façon décente avec un autre être humain peut être tout aussi «gratuit».) Des observateurs intelligents on fait remarquer que l'honneur «spirituel» ou le respect autrefois réservés à la justice, au courage, à la tempérance, à la miséricorde pouvait maintenant être acquis négativement par le grotesque. Je pense souvent que ce changement est lié au fait que tant de «valeur» a été absorbée par la technologie elle-même. »

Dans ses élucubrations solitaires ou dans ses lettres plus ou moins "insanes", Herzog convoquera ainsi des penseurs tel Heidegger, quand ce dernier annonçait par exemple l'avènement de «la Seconde Chute de l'Homme dans le quotidien et l'ordinaire», la pensée humaine remplacée alors complètement par la technique, mais sans oublier, paradoxalement, de faire place aux vues d'un Montaigne ou d'un Pascal, lorsque ces derniers affirmaient au contraire que «la force de la vertu d'un homme ou ses capacités spirituelles se mesurent d'après sa vie ordinaire».
Il pourra tout aussi bien soutenir, avec autant de conviction intime, que dans le rapport sur les « Objectifs Nationaux de Eisenhower» l'on aurait dû se préoccuper «avant tout autre chose de la vie intérieure de tous les Américains », comme par ailleurs le fait que «les visions de génie seraient vouées à devenir des mets en conserve pour intellectuels » -«la choucroute en boîte du «socialisme prussien» de Spengler», «les lieux communs de la Terre Brûlée de T.S. Elliot », « les stimulants mentaux de pacotille de l'Aliénation» ( !) Il pourra prôner, avec une même désinvolture, à la suite de Tolstoï, que la « liberté est une affaire entièrement personnelle : est libre celui dont la condition est simple, véridique, réelle », et qu'étendre ses conditions de vie ne peut que se faire «aux dépens d'autrui», tout en pointant la part de responsabilité des artistes et des penseurs refusant catégoriquement de croire à toute possibilité d'un apprentissage collectif par l'humanité, dans l'effondrement des fondements de la civilisation et dans l'avènement des systèmes totalitaires !!
Ceci jusqu'à vous en donner par moment le tournis, et à vous faire demander (lui aussi, remarque…) où il veut en venir exactement, ou s'il ne serait pas en train de perdre complètement pied!

Ce que l'on peut dire en revanche, sans aucune hésitation, c'est qu' il n'y aura pas grand monde, de quelque courant ou bord qu'il soit, qui pourra échapper au regard critique de Herzog ou à ses éventuelles diatribes d'homme du sous-sol de la modernité ! Y compris (voire surtout) ceux-là même qui déclareraient haut et fort (catégorie à laquelle, pourtant, lui aussi aurait pu à certains moments nous sembler, à tort, appartenir !!) «la défaite de la pensée occidentale», ou vanter «les beautés du Vide comme s'il s'agissait d'un terrain à vendre» !!!

Drôle, dérisoire jusqu'à frôler parfois le picaresque et le pathétique, rationnel quoiqu'instable, empreint à un autre niveau de cette flamboyance émotionnelle haute en couleur, typiquement russo-juive, dont il a hérité et qu'il essaie en vain de contrôler («Moshe» a souvent la larme qui monte à l'oeil), érudit et décomplexé, passant sans transition d'une langue savante à un discours familier, oral et direct, toutes les armes sont bonnes dans sa lutte acharnée contre un sentiment de désespoir qui risque de l'immobiliser peu à peu dans ses filets invisibles…

Ce regard critique très en profondeur, incisif, arme diablement efficace, quelquefois déstabilisant aussi pour le lecteur, notamment par rapport à ce qui peut relever pour ce dernier d'une forme de bien-pensance admise et consensuelle, à priori progressiste (et où, soit dit au passage, je pourrais me reconnaître aussi !), vaudra entre autres à Saul Bellow une étiquette de «polémiste conservateur» qui, à mon sens, serait loin de pouvoir résumer toute l'originalité et la richesse sous-jacentes à son propos ici.

Témoin de la première heure de l'agonie et de la mort définitive des idéologies (il semble d'ailleurs que Saul Bellow ait été un brave militant trotskiste dans se vertes années !), de leur remplacement croissant par la production en masse de biens matériels et culturels «accessibles à tous», par des progrès « techniques» considérés comme des valeurs de remplacement du spirituel, source privilégiée de bonheur pour l'humanité ; évoquant déjà au début des années 60 l'auto-destructivité découlant hélas de l'illusion d'un individualisme sans entraves et «sans transcendance» proposé par nos sociétés modernes (nous y sommes en plein !!), ainsi que le risque de la mise en boîte de toute pensée ou vision nouvelle, avalées et digérées rapidement par l'appétit colossal d'un néo-Léviathan, le roman de Saul Bellow devrait pouvoir être considéré avant tout comme un brillant manifeste anticonformiste et, sous certains aspects, prémonitoire.
Un cri de révolte qui ne cherche pas, bien au contraire, à entraîner le lecteur vers aucune chapelle en particulier, en dehors de lui-même et de sa propre conscience.
Très loin aussi du mirage provoqué par les dérives libertaristes et antisystème qui prolifèrent de nos jours, se présentant, hélas, à de plus en plus de sympathisants, comme seules alternatives viables pour combattre efficacement le néolibéralisme mondialisé.
«Herzog» serait au contraire une invitation à cultiver ces «états inspirés» que son héros réussira enfin à retrouver, après s'être dégagé de la gangue de ses ressentiments et de son narcissisme étriqué, blessé de surcroît, pouvant se reconnaître enfin comme étant lui-même peut-être un «grand romantique», et pourquoi pas ? (d'ailleurs, le sujet central de cette fameuse «recherche chaotique, 800 pages en manque d'unité» n'est autre que l'évolution du Romantisme en tant que mouvement, et plus particulièrement sur ses dérives mystico-religieuses et politiques dans la société moderne!).
Ce qui rappellera au lecteur aussi, en définitive toujours identifié quelque peu à «Moshe», la nécessité de garder un «coeur battant», conscient de ses limites et de sa singularité, en diapason néanmoins avec la connaissance et ses « états inspirés», «comme un don pour aussi longtemps qu'on pourra occuper les lieux».

Cinq étoiles pour un roman aussi brillant qu'engageant et captivant, de mon point de vue une ode magnifique à l'exercice d'une libre-pensée qui fait beaucoup de bien par les temps qui courent..!

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Avec Herzog, ce roman exceptionnel publié en 1964, d'une incroyable modernité par son propos et son style, Saul Bellow a dû inspirer beaucoup d'auteurs, Woody Allen, Philip Roth, et les frères Coen entre autres.

Il nous fait ici pénétrer – comme à l'aide d'un scanner - dans l'esprit et les émotions de Moses Herzog, érudit spécialiste de l'histoire des idées, ancien professeur d'université, que Madeleine sa deuxième femme a quitté pour Valentin Gerbasch, son ami à la jambe de bois, et néanmoins orateur flamboyant et sans complexes.

Déprimé d'avoir été abandonné, enragé d'avoir été manipulé, exalté, doté d'une mémoire exceptionnelle mais manquant totalement de sens pratique, en proie à des impulsions et des émotions qui le submergent, Herzog oscille en permanence entre force et faiblesse, acceptation et esprit de vengeance, ambition folle [d'améliorer la condition de l'humanité avec ses idées] et désolation face à son impuissance, euphorie [d'une nuit passée avec Ramona, sa maîtresse au corps superbe] et dépression, gardant [toujours] une conscience aigüe de la dimension comique du quotidien.

Dans cette période de sa vie où tout semble se dilater, comme exutoire des observations et émotions très violentes qui l'envahissent, Herzog ne cesse de composer des lettres, imaginaires ou réelles, pour lui-même, pour ses proches, pour des personnes qu'il a croisées, pour les médias, des hommes politiques, des philosophes, des scientifiques jusqu'à Dieu.
Ainsi, le récit est extraordinaire car il ne cesse de mêler dans une trame unique les pensées intimes d'Herzog et ses idées sur la conduite du monde, l'intérieur et l'extérieur.

« Notre civilisation est une civilisation bourgeoise. Je n'emploie pas ce terme dans son sens marxiste. -Trouillard !- Dans le vocabulaire de l'art moderne et de la religion d'aujourd'hui il est bourgeois de considérer que l'univers a été créé pour que nous l'utilisions en toute sécurité et pour nous donner confort, bien-être et soutien. La lumière voyage à trois cent mille kilomètres par seconde pour que nous puissions voir pour nous peigner les cheveux ou pour lire dans le journal que le jambonneau est moins cher qu'hier. Tocqueville considérait le mouvement vers le bien-être comme une des plus fortes tendances d'une société démocratique. On ne peut le blâmer d'avoir sous-estimé les forces destructrices engendrées par cette même tendance. -Il faut que tu aies perdu la tête pour écrire au Times comme ça ! Il y a des millions d'amers voltairiens dont l'âme est pleine de furieuses satires et qui cherchent sans cesse le mot le plus mordant, le plus venimeux. Au lieu de cela, pauvre imbécile, tu pourrais envoyer un poème. »

Le charme et l'intérêt du roman tiennent enfin aussi au cadre très présent par l'acuité des observations d'Herzog, comme une ode à New-York, à Chicago et à la maison de campagne dans laquelle celui-ci se réfugie, et à la période d'expansion des années soixante dont Saul Bellow et Herzog perçoivent les limites et les dérives avec une lucidité folle, comme s'ils étaient déjà les hommes d'un monde d'avant.

« Dans le taxi qui traversait les rues brûlantes où s'entassaient les immeubles de brique et de pierre, Herzog se tenait à la poignée et ses grands yeux contemplaient New-York. Les formes carrées, loin d'être inertes, étaient vivantes, elles lui donnaient un sentiment de mouvement inéluctable, presque d'intimité. Dans une certaine mesure, il avait l'impression de faire partie de tout cela – des chambres, des magasins, des caves – et en même temps il percevait le danger de ces multiples excitations. »
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Pour moi, ce fut une réelle découverte. C'est un roman d'une intelligence déconcertante; un récit fin, lucide et vif. Un type, Herzog, n'arrête pas d'écrire des lettres à presque n'importe qui. À des proches bien sûr, mais aussi au président des États-Unis, à Heidegger, même à Spinoza et j'en passe. La vie s'entremêle à ses observations minutieuses qui s'écrivent au fil de sa pensée. Il se trouve donc toujours à prendre des notes pour ses lettres à venir. Il donne envie de se mettre devant son ordinateur et d'entreprendre des correspondances avec tout le monde; d'émettre des opinions sur tout.

Herzog est surtout attachant.Cet intellectuel, voire érudit, en bave avec sa vie sentimentale: deux femmes, deux divorces, un enfant à chaque fois. Pour faire plaisir à sa deuxième femme, il dilapide l'héritage familiale pour acheter une maison qui tient à peine de bout, en pleine campagne, évidemment, retour à la nature oblige. Cette même femme s'ennuie et le quitte avec son meilleur ami. Il retourne à Chicago chez des amis qui trouvent qu'il a mauvaise mine. Chacun, comme il peut, tente de le remettre sur pied, mais Herzog ne voit pas que ça cloche, si, mais fait comme si tout allait bien. Ça chauffe dans la tête de ce Herzog, et tant mieux, car ça nous fait suivre des pistes théoriques fantastiques, qui partent dans tous les sens, sans aucune limitation. C'est comme en période d'insomnie où l'imagination s'excite et frétille.

On peut le mettre dans la même lignée que Philip Roth, intellectuel, juif, new yorkais, mais pour Roth, personnellement, je suis incapable, mais il a bien un lien. C'est d'ailleurs lui qui signe la préface. Pour l'anecdote, l'écrivain espagnol Vila-Matas disait à quel point il détestait Philip Roth car il ne fait qu'imiter Saul Bellow! L'original, c'est toujours mieux… ou peut-être, seulement, être original!
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Ce roman paru en 1964 a pour héros Mose Herzog, professeur âgé de quarante-sept ans qui se révèle terrassé par l'abandon de sa seconde femme, Madeleine.

De cette situation initiale découlent 600 pages illustrant l'essence même de la névrose - habilement résumée à "l'inaptitude à tolérer les situations ambiguës" (p530), allant de questionnements, d'écueils, de douleurs, de prisons aux achopements et pensées circulaires.

Ce chemin de croix solitaire de la douleur face à la déception et à la trahison, loin de "la gaieté stratégique des coeurs brisés" (p 556) statue que "les douleurs profondes ennoblissent, les douleurs qui brûlent lentement, comme du bois vert. Mais afin de bénéficier de ce noble enseignement, la survie est nécessaire. Il faut survivre à la douleur." (p 556).

Et sans être conscient d'agir par survie, l'on suit sa correspondance imaginaire qu'il entame de façon continue et frénétique avec des morts et des vivants, à qui il dénonce l'injustice et avec qui il partage son amertume, sa colère, sa peine et en somme son effroi.

Cette nécessité de parler s'impose à lui non comme un moyen de libération mais comme un besoin immédiat qu'il assouvit, cette quête de sens lui apparaissant même inepte  - "si la vie inexpliquée ne vaut pas la peine d'être vécue, la vie expliquée est elle aussi insupportable" (p561).

"Victime de lui-même" pour reprendre les mots de l'éditeur, Herzog se dévore lui-même - "Les violentes impulsions, l'amour, l'intensité, les vertiges de la passion, tout cela rend l'homme malade. Combien de temps supporterais-je encore ce martèlement en moi ? La façade de ce corps va s'effondrer. Ma vie entière se cogne à ses limites, et la force des désirs réprimés se transmue en poison cuisant. le mal, le mal, le mal...! L'amour furieux, extatique, singulier, qui vire au mal."
(p407)

Citant Whalt Whitman, "échappé de la vie qui s'exhibe" et " écoutant les mots des langues aromatiques" (p564), il chemine en lui comme l'on voyage pour peut-être y parvenir, reconnaissant dans ces vers un moyen simplement de vivre, et actant paradoxalement dans sa solitude absolue que l'homme se définit pourtant dans sa relation à l'autre - s'en libérant ou s'y assujetissant, donnant à ces pages l'envergure d'une réflexion sur la place d'un homme dans la société américaine des années 60, étonnamment par l'unique prisme d'un seul ego.

On suit cet odyssée intérieur avec gratitude pour une telle intimité avec la pensée d'autrui - on se mêle à lui, on finit par voyager avec lui.

"Il se sentait trop bizarre, mélange de clairvoyance et d'humour noir, d'esprit de l'escalier, de nobles inspirations, de poésie et d'absurdité, d'idées, d'hyperesthésie - à errer par-ci, par-là, à entendre en lui de la musique puissante mais indéterminée, à voir des choses, des halots violets autour des objets les plus distincts." (p566)

Et avec ce livre qu'on dit être le pendant americain d'"Ulysse" de Joyce,  on ne sait où l'Odyssée prendra fin - même si la dernière phrase constitue en soi un retour - mais on sait que le voyage en valait absolument la peine.
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L'une des pierres angulaires du nouveau roman américain . Un style incroyable avec des envolées d'un niveau rarement vu , une maitrise parfaite de l'intrigue qui réussit à ne jamais lacher le lecteur en route , n'ayons pas peur des mots , ce livre est un chef d'oeuvre . L'écriture est tellement ciselée que Herzog , ce personnage fait pour ce role , prend vie sous nos yeux . Pourtant il ne se passe rien ici , pas d'action , pas d'aventures , juste l'étude approfondie d'un homme un peu particulier , qui a pour hobby d'écrire dans sa tète des lettres a plein de gens . On passe du rire franc â la tristesse , comme chez Woody Allen , dont Bellow est sanscontestation possible le précurseur . Si il n'y avait un gros défaut sur le plan de la misogynie du personnage principal , le résultat serait un véritable feu d'artifice . Au final c'est sans contestation un livre majeur du 20 éme siécle .
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L'intelligence est-elle suffisante pour mener une vie altruiste? Compassion et compréhension ne sont-ils que des maux? Qui répondra à nos interrogations incessantes, qui en aura assez de ces réflexions interminables sur l'amour, la haine, le corps, les autres? Quel philosophe peut s'autoriser à répondre à Herzog, ce Herzog qui s'est emmuré lui-même dans sa bibliothèque, faute de pouvoir jouer l'errance et de retrouver sa dulcinée? L'ignorance c'est le bonheur, semble nous dire ce philosophe plébéien, mais à quel prix? le divorce? La folie? le suicide? Trop onéreux selon Bellow, l'homme n'est pas aussi solide, nul ne souhaite payer le prix fort pour un résultat si médiocre. Qui donc peut nous donner la réponse, une réponse? le président des États-Unis? Heidegger peut-être? Schrodinger? Ou Nietzche? Non, écrit Herzog dans sa toute dernière lettre, seule ma conscience le peut.

Une oeuvre de l'esprit et de l'âme.
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HERZOG de SAUL BELLOW
Herzog est un professeur connu et reconnu, avec une certaine notoriété. Madeleine, sa seconde femme le quitte. Herzog se réfugie dans sa petite maison de campagne et peu à peu il va perdre ses repères et côtoyer un état proche de la folie. Il va revivre sa vie, mélanger hier et aujourd'hui, la déprime le gagne ainsi qu'un sentiment diffus de s'être fait manipuler et, il n'a peut être pas tort puisque Madeleine le trompe avec Valentin, affligé d'une jambe de bois, beau parleur, son meilleur ami et surtout l'homme vers lequel il se tourne quand il a des problèmes! Il parle tout seul, écrit des papiers à tout le monde ( le président, des philosophes, sa famille) qu'il n'envoie pas la plupart du temps. Il doit gérer des problèmes financiers récurrents avec sa première femme, gérer ses deux enfants, gérer sa superbe maîtresse avec son impuissance.
Herzog est le prototype de l'homme des années 60 qui ne peut suivre une évolution sociale qui le dépasse. Il est totalement inadapté à ce monde qu'il ne reconnaît pas ou plus et il cherche désespérément des réponses à des questions qui n'en ont pas.
Le Saul Bellow que j'ai préféré, on trouve tous les thèmes que Philip Roth reprendra à son compte plus tard, d'ailleurs c'est lui qui écrit le quatrième de couverture et il a toujours admiré Bellow qu'il voyait comme son maître.
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