Je suis une lectrice assidue et fidèle de
Tonino Benacquista pour la simple raison que je l'ai connu dans la vraie vie qu'il décrit dans ce livre et qu'il est apparenté à ma famille (sa belle-soeur est la soeur de ma mère). Ainsi, dès que j'ai appris, par la bande, qu'il sortait ENFIN son autobiographie, je n'ai pas résisté à la tentation et je m'en suis gavée jusqu'à plus soif.
Lue en quelques heures, je suis encore sous le choc de ce qu'il ose : ne plus se cacher sous les traits et les actes de ses personnages fictifs (dont certains étaient pour moi reconnaissables) et enfin, se dévoiler. Lui, le sauvageon, le secret, l'agoraphobe... lui qui a tant de mal à dire les mots qu'il sait si bien écrire ! En prenant ainsi un risque immense, celui-ci d'être jugé, critiqué, voire dénigré.
Eh bien, moi, je lui dit chapeau Tonino !
Peu d'écrivains connus prendraient le même risque. Et pour moi qui ai lu quasiment tous ses livres (sauf les BD), je dis que c'est l'un des meilleurs, sinon le meilleur. Car il met en mots, avec une incroyable maestria, toute la difficulté de vivre et d'exister avec une double culture, pour mieux s'en affranchir. Tout l'impact d'une mauvaise décision prise au mauvais moment, pour sans doute de mauvaises raisons, et le poids qu'une immigration, certes choisie, mais surtout subie, fait porter - consciemment ou inconsciemment - à toute une famille. le père qui passe à côté de sa vie d'homme et s'oublie dans le vin ; la mère, qui croyant vivre un conte de fée romantique (être enlevée par son prétendant, c'est pas rien quand même !) se retrouve dans un enfer quotidien et fait le choix de s'effacer de la vie ; les enfants qui, d'une façon ou d'une autre, portent la culpabilité à la place de leurs parents et n'osent aller vers les vies d'homme et de femmes qu'ils auraient voulu se choisir. Sauf peut-être l'auteur, Tonino (mais à quel prix ?) qui, malgré les questions sans réponse, malgré l'indifférence et l'absence d'amour, malgré la misère sociale et la honte de vivre là, malgré son absence d'accès à la culture, saura se démarquer de ce melting-pot de cris et de silences, d'odeurs, d'images, de décors, d'intonations de langue italienne et française pour se construire un imaginaire salutaire qui le délivrera du réel pour mieux le nourrir et lui permettre de survivre à un destin écrit d'avance.
Résilient (concept cher à Cyrulnik),
Tonino Benacquista l'a été dès qu'il a mis les pieds sur la terre française, car, de fait, son statut de natif l'exonérait d'une loyauté pesante. Il n'avait pas, contrairement à d'autres, à choisir. Il était Français. Mais, dans son contexte, être Français ne lui suffisait pas pour exister pleinement. Malgré son air de dilettante assumé, il s'est battu pour ne pas être "comme eux", ses parents, son frère, ses soeurs qui n'ont pas eu le choix, ses potes qui n'avaient comme seul horizon le chantier naval Rocca ou le garage du coin. La résilience est souvent histoire de rencontres. En cas de parents défaillants, les tuteurs de résilience peuvent être des enseignants, un prêtre communiste, des amis engagés, des employeurs bienveillants. Manifestement, il les a trouvés sur son chemin et c'est tant mieux car il ne serait pas devenu l'excellent auteur qu'il est devenu.
J'ai tellement aimé ce Tonino qui se dévoile et qui donne à voir la palette de ses goûts (je connaissais sa passion pour le cinéma) et de ses dégoûts (j'ignorais son aversion pour les livres qu'il a finalement découverts sur le tard). J'ai aimé redécouvrir les membres de sa famille sous son regard. J'ai tellement compris son ressenti pour l'avoir vécu moi-même (en tant qu'aînée d'un père immigré Italien arrivé en France en 1958 et qui ne savait que signer son nom). J'ai aimé son récit des vacances italiennes avec les paquets de café dans les bagages (mon père, lui, jouait l'américain avec sa Ford Taunus verte métallisée et offrait des barbecues géants à tout le pâté de maisons. J'ai compris son dédain pour le ciociaro et son respect pour la vraie langue italienne (notamment celle qu'on apprend à la lumière des textes des grands auteurs). J'ai regretté d'apprendre son isolement (mais je peux tellement le comprendre) et je me suis amusée à lire les potentiels destins américain et italien de sa famille si... son père avait pris la bonne décision au bon moment. Petite pirouette pour dire que se dévoiler n'a qu'un temps, et que seule la fiction est la seule qui vaille !
Bref, si vous connaissez l'auteur, vous aimerez découvrir au travers de
Porca Miseria l'homme fragile, mais aussi déterminé qu'il est.
Et je ne doute pas un seul instant que si vous découvrez, pour la première fois,
Tonino Benacquista à travers son autobiographie, vous aurez à coeur de découvrir, très vite, ses nombreuses et très célèbres fictions dont certaines lui ont valu de nombreuses récompenses.