Un curé de santé fragile, dans une campagne obscure écrit ses impressions dans un journal. Quoi de plus banal ? Sauf si on s'appelle
Georges Bernanos, lequel manie les mots à la perfection, même si, écrit-il par la voix de son curé : « C'est une des plus incompréhensibles disgrâces de l'homme, qu'il doive confier ce qu'il a de plus précieux à quelque chose d'aussi instable, d'aussi plastique, hélas, que le mot. »
À travers ce journal, le narrateur scrute son sacerdoce avec une acuité extrême, lui cet enfant pauvre devenu homme de Dieu et qui n'oublie pas l'injustice faite aux siens : « Reste qu'un pauvre, un vrai pauvre, un honnête pauvre ira de lui-même se coller aux dernières places dans la maison du Seigneur, la sienne, et qu'on n'a jamais vu, qu'on ne verra jamais un suisse, empanaché comme un corbillard, le venir chercher du fond de l'église pour l'amener dans le choeur, avec les égards dus à un Prince – un Prince du sang chrétien. »
La prêtrise n'est pas chose aisée : « Nous payons cher, très cher, la dignité surhumaine de notre vocation. » Une vocation éprouvée par des situations, des êtres, par leur cruauté parfois. Heureusement, il reste la grâce, et des voix viennent aux secours de ce curé, comme celle de son confrère de Torcy, un sage qui fait ainsi parler le Christ pour, lui aussi, accabler l'injustice propre à l'espèce humaine : « Que mon bras s'écarte un moment, l'esclavage que je hais ressusciterait de lui-même, sous un nom ou sous un autre, car votre loi tient ses comptes en règle, et le faible n'a rien à donner que sa peau. »
Ce journal est donc une introspection tant existentielle que spirituelle, où des généralités côtoient des vérités intimes : « Je n'avais jamais été jeune, parce que je n'avais pas osé. » Puis : « Je n'ai jamais été jeune parce que personne n'a voulu l'être avec moi. » Ou comment dire sa solitude…
Et puis il y a l'entretien à coeur ouvert avec Mme la Comtesse – point culminant du roman et modèle d'espérance –, où les deux se livrent à une lutte pour qu'enfin cette dure femme de race infléchisse son implacable orgueil, vaincue par des phrases telles que celle-ci : « Oh, vous pouvez bien cacher aux misérables les vices de vos maisons, ils les reconnaissent de loin, à l'odeur. […] Il n'est pire désordre en ce monde que l'hypocrisie des puissants. »
Bernanos, qui « montre d'abord une heureuse négligence pour les “lois du roman” » (
André Malraux), déploie ici encore ses inquiétudes mystiques, avec ce talent inouï qui le caractérise. Il n'accompagne pas le lecteur : il le lessive littéralement et non moins littérairement. C'est un texte qui s sous le signe de Dieu, mais un Dieu de vérité, pas d'apparence ainsi fustigée : « Je crois, je suis sûr que beaucoup d'hommes n'engagent jamais leur être, leur sincérité profonde. Ils vivent à la surface d'eux-mêmes, et le sol humain est si riche que cette mince couche superficielle suffit pour une maigre moisson, qui donne l'illusion d'une véritable destinée. »
Enfin, ce
Journal d'un curé de campagne se lit aussi comme une confession et c'est ce qui la rend si attachante…