Quelle maestria !
Subjuguée par le talent d'
Ugo Bienvenu. Autant de brio que les maîtres du noir et blanc que sont pour moi
Didier Comès,
Jiro Taniguchi dans "Le sommet des dieux" et
Romain Renard pour "
un Hiver de Glace".
Proche de
Romain Renard car l'un et l'autre font ressentir à leurs lecteurs la sauvage beauté de la nature et son inhospitalité à l'égard des hommes.
Ugo Bienvenu doit les apprécier comme il doit admirer un
Alfred Hitchcock au niveau de la mise en scène.
N'ayant pas lu le livre, j'ai découvert l'intrigue, et comme chaque lecteur, j'ai ressenti l'uppercut à la page 135. Anéantie. Certes, je m'attendais à un drame, mais là...
Pour revenir sur le récit, il est brillant et sacrément bien ficelé ; un père entraîne son jeune fils de 13 ans dans une aventure folle qui doit durer une année. Isolés sur une île déserte d'Alaska ils doivent s'organiser pour y survivre et tenter d'élaborer un lien filial (on n
e va pas écrire" re-créer" puisqu'on se rend compte très vite que le père est le grand absent de la courte vie de Roy).
La pression qui s'impose au fil de la lecture est générée par l'exaspération de plus en plus exacerbée que suscite ce père geignard, complètement invertébré moralement. Quel florilège d'adjectifs commençant par le préfixe ir- ou in- défile dans notre tête ! Pour exprimer ce que l'on peut penser de cet homme, on peut dire qu' il se consacre "à des activités qui dépassent de loin (ses) capacités" (citation extraite de la BD que je viens de lire "Le Voleur de Livres").
Et le livre se referme sur cet énorme gâchis.
Sauf qu'alors, la pression se relâchant, s'élève alors un cri silencieux qui envahit tout ce qui a été lu : celui de Roy. Petit garçon abandonné de tous les adultes. Comment sa mère peut-elle accepter de confier son fils aux mains de ce père !!! Elle sait ce qu'il vaut puisqu'elle s'en est séparé. Et les autres : celui qui les approvisionne en denrées et qui connaît particulièrement bien la région ? La façon dont Roy se replie sur lui-même ! Une de ses rares phrases sera pour l'île d'Hawaii et du bateau dont il rêve.
Certes, dans la civilisation américaine, pour un garçon de son âge, partir camper "entre homme"s, avec son père, dans le "wild" fait partie de l'initiation à la masculinité, avec prise de risque, qui peut justifier leur passion pour les armes.
Mais encore faut-il que l'aventure soit bien préparée, encadrée par un adulte et un adulte aimant. J'imagine Roy bébé, avec une 'totote" dans la bouche pour ne pas déranger par ses cris et ses larmes ses chers parents, empêché de parler par cette ridicule sucette, puis un peu plus tard planté seul devant la télé, isolé dans sa chambre devant un écran, etc... Un désert. Désert qui atteint son paroxysme avec ce père qui partage sa chambre et gorge ses nuits de ses geignardises, ne lui laissant même pas la liberté à lui aussi, l'enfant, d'exprimer son désespoir. Seul avec un fou dans un lieu d'où il ne peut s'échapper...physiquement. Seul sans l'espoir de partager avec des copains. Même pas par la radio, complètement et uniquement utilisé par le père. Quant au contact avec la nature, aussi belle soit-elle, ce n'est pour lui qu'une succession d'épreuves physiques (comme ramener sur son dos ce père qui s'est blessé bêtement).
Enfin, relire encore une fois, pour mieux l'apprécier, la très belle préface de Fabrice Colin Oui, plus qu'une claque ressentit, c'est "un
e vague antédiluvienne, chargée d'un limon indéchiffrable" qui m'a emportée. Je n'ai pas encore lu David Van, mais "flamboyance et minéralité" caractérisent bien le graphisme d'
Ugo Bienvenu.
Quoi qu'il en soit, je ne suis pas prête de l'oublier ce trio merveilleusement infernal : David Van,
Ugo Bienvenu et
Fabrice Colin.