Exercice difficile que de parler d'un livre aussi dense, qui s'étend sur une immense fraction d'une vie. Mais si l'auteur s'est tant usé à nous livrer une oeuvre aussi complexe, qu'il s'agisse des thèmes abordés ou de la profondeur de l'excavation qui permet justement à ces thèmes d'être exposés d'une manière totale, telle une chair à vif, alors il me semble qu'il est du devoir du lecteur de tenter à son tour de faire comprendre aux autres ce qu'ils s'apprêtent à lire, l'arène dans laquelle ils sont sur le point de pénétrer.
Et selon moi, on est bel et bien face à un travail colossal.
Ce que j'ai envie de mettre en avant de prime abord, c'est cette franchise, cette honnêteté sans faille, qui fait presque mal, que le protagoniste de l'histoire, Flo, porte sur lui dans tout ce qu'il fait, dans tout ce qu'il dit. Et puisque ce roman est écrit à la première personne, et qu'on a le sentiment que c'est l'écrivain qui parle derrière, avec sa vérité à lui, cette brutale et intransigeante vision de soi, qui s'avance, sans masque, sans faux-semblants, est d'autant plus fracassante quand, au fil de la lecture, on se met à l'appréhender dans toute son ampleur.
Il est loin d'être évident d'incorporer les failles et les doutes d'un être humain dans une histoire. Je suppose que beaucoup de romanciers ont du mal à jongler avec les lacunes de leur personnage principal s'ils veulent faire avancer l'intrigue selon leur plan, dans la direction qu'ils ont élue depuis le commencement. Ce n'est pas le cas de
Frédéric Bleumalt. A vrai dire, il semble même que ce soient les difficultés que rencontre Flo qui soit le véritable moteur de ce roman, et qui le rendent si humain, si vivant.
D'autre part, puisqu'on sent qu'une grande part de ce qui est évoqué ici a été, sinon vécu précisément à la lettre, du moins éprouvé en tant qu'événements émotionnels ou sensitifs, des fractures donc, que l'auteur a connues intimement, dans sa chair, l'impact des mots est d'autant plus bouleversant, d'autant plus dur. Et ça, cette chose qui donne un goût très prononcé de réalité, est selon moi une qualité majeure pour un livre.
Ensuite, j'aimerais aborder les réflexions qui jalonnent l'ensemble de l'ouvrage, mêlant des questionnements autour de la finitude, de la métamorphose, de la renaissance, de l'acceptation, du lâcher-prise. L'évolution constante, et souvent source de douleur, de renoncements et d'amères désillusions qui en définitive, constituent la vie entière d'un Homme à la recherche de sa propre vérité, peu importe les sacrifices et les pertes qui lui seront infligés.
Flo est un guerrier. Et sous ses airs d'homme effacé, toujours un peu hors du coup, qui semble contempler le monde d'un oeil vaguement éteint sans tout à fait vouloir y participer, se révèle en fait un être dont la force dépasse de loin celle de ceux qu'il rencontre sur sa route, et qui préfèrent souvent conserver le masque et les oeillères pour faire semblant de savoir où ils vont, et qui ils sont.
Flo n'a pas besoin de ça. Il est en mesure de remettre toute son existence en question, quitte à perdre ce qu'il a si difficilement acquis ou désiré, ce pour quoi il a lutté.
Le courage de celui qui renonce à se mentir à lui-même. Et qui décide d'être honnête, surtout si ça fait mal, même si c'est le plus dur. Voilà la plus grande leçon de ce livre. Et elle rayonne d'une force vive bien après l'avoir terminé.
Bravo à l'auteur donc, qui termine cette saga des Garçons Dérangés d'une façon magistrale, flamboyante, malgré la dureté du propos.