Citations sur Le livre de sable (127)
Pour voir une chose il faut la comprendre. Un fauteuil présuppose le corps humain, ses articulations, ses divers membres ; des ciseaux, l'action de couper. Que dire d'une lampe ou d'un véhicule ? Le sauvage ne perçoit pas la bible du missionnaire ; le passager d'un bateau ne voit pas les mêmes cordages que les hommes d'équipage. Si nous avions une vision réelle de l'univers, peut-être pourrions-nous le comprendre.
Enfant, j'avais pris mon parti de ces laideurs comme on accepte ces choses incompatibles auxquelles on a donné le nom d'univers, du seul fait qu'elles coexistent.
Cela n'est pas possible et pourtant cela est. Le nombre de pages de ce livre est exactement infini. Aucune n'est la première, aucune n'est la dernière. Je ne sais pourquoi elles sont numérotées de cette façon arbitraire. Peut-être pour laisser entendre que les composants d'une série infinie peuvent être numérotés de façon absolument quelconque.
Je constate que je vieillis ; un signe qui ne trompe pas est le fait que les nouveautés ne m'intéressent pas ni ne me surprennent, peut-être parce que je me rends compte qu'il n'y a rien d'essentiellement nouveau en elles et qu'elles ne sont tout au plus que de timides variantes.
Notre grand-mère était morte dans la même maison. Quelques jours avant la fin, elle nous avait tous fait venir auprès d'elle et elle nous avait dit : "Je suis une très vieille femme qui est en train de mourir très lentement. Que personne ne s'affole d'une chose si commune et si banale."
Si cette matinée et cette rencontre sont des rêves, chacun de nous deux doit penser que le rêveur c'est lui. Peut-être cesserons-nous de rêver, peut-être non. Entre-temps nous sommes bien obligés d'accepter le rêve, comme nous avons accepté l'univers, comme nous acceptons le fait d'avoir été engendrés, de regarder avec les yeux, de respirer.
L’un de nous évoqua la thèse platonicienne selon laquelle nous avons déjà tout connu dans un monde antérieur, de sorte que connaître, c’est reconnaître.
Sans grand espoir, j'ai cherché ma vie durant à retrouver la saveur de cette nuit-là ; j'ai cru parfois y parvenir à travers la musique, l'amour, la mémoire incertaine, mais elle ne m'a jamais été rendue, si ce n'est un matin, en rêve.
"De loin en loin, au cours des siècles, dit-il, il convient de brûler la bibliothèque d'Alexandrie."
Le nouveau directeur de la Bibliothèque est, me dit-on, un homme de lettres qui s'est consacré à l'étude des langues anciennes, comme si les modernes n'étaient pas suffisamment rudimentaires, et à l'exaltation démagogique d'un imaginaire Buenos-Aires de truands. Je n'ai jamais cherché à le connaître.