[Interlude]
J'ai lu quelques chroniques sur ce roman, c'est quelque chose que je fais avant d'écrire les miennes, cela me permet de comprendre comment le roman est perçu par les autres, ou tout simplement de prendre conscience de certaines choses que je n'aurais pas comprises par exemple. Pour
Shâhra il n'y a que deux ou trois chroniques : celle d'Elbakin, d'Ombre Bones, de Love in Books et de Fantasy à la carte. 4 chroniques, ce qui est relativement peu pour un roman sorti en juin avec une couverture aussi exceptionnelle. Et 4 chroniques plutôt mitigées. Je vous laisserai les liens en bas de la mienne pour que vous alliez les découvrir parce que ce qu'iels n'ont pas aimé… moi j'ai adoré ! ^^
Quatre femmes, une seule destinée.
Contrairement à ce que laisse penser la quatrième de couverture, il y a non pas trois femmes mais quatre qui se disputent les trois cent pages de ce roman. À Tiyyi la jeune adolescente ayant échappé à l'esclavage et au désert, à Arkhane l'androgyne – hermaphrodite – privée de ses dons et d'une partie d'elle, et à Djiane qui voit disparaître ce qu'elle avait de plus cher au monde et rêve de liberté, s'ajoute Aya Sin l'augure prisonnière d'un pacte qui la lie aussi bien à Malik qu'à la drogue. Elles sont toutes des métaphores modernes : la lutte contre l'addiction à la drogue, la femme battue, l'esclavage, ou encore la transexualité (même si ici il s'agit plutôt d'hermaphrodite) et à travers elles, l'autrice transmet différents messages.
Toutes quatre semblent être liées à Azr'Khila, Déesse de la vie et de la Mort, dont le visage coupé en deux, d'un côté noir, de l'autre blanc, sillonné de rouge en son milieu, peuple les nuits d'Arkhane. Si on ne la voit jamais vraiment, on la sent présente partout et en toutes circonstances, dans les rituels de naissance ou de morts, dans ses vautours qui passent de l'image dégradante de charognards à celle de passeurs sous la plume de Charlotte, dans ses prêtresses, et dans les chemins qu'empruntent chacune de nos héroïnes.
Les quatre jeunes femmes sont toutes meurtries, torturées par la vie, mais aussi fortes, puissantes chacune à leur manière. Tout autant que dans L'Archipel des Numinées, l'autrice n'a pas hésité une seule seconde à leur en faire voir de toutes les couleurs et si certaines situations peuvent sembler légèrement convenues après avoir lu autant de romans de fantasy il n'en reste pas moins qu'elles semblent également réalistes, plausibles ce qui rend les héroïnes d'autant plus attachantes et fières.
Les quatre points de vue s'alternent sans difficultés pour ceux et celles habitué.e.s à lire ce type de roman, d'ailleurs les héroïnes ont chacune leur histoire et leur caractère : le naturel optimiste, pacifiste et plein d'espérance de Tiyyi, la fougue et la rage de Djiane, le calme et l'assurance d'Arkhane et l'envie de justice d'Aya Sin. C'est sous les doigts de la jeune augure que se tisseront les fils de la destinée, guidée par la Déesse.
Étant donné que les quatre points de vue avancent en simultanée et que l'autrice a tenu à nous faire voir l'ensemble de ceux-ci on peut ressentir l'impression de longueur décrite par les autres chroniqueurs. Mais ce n'est pas ainsi que je l'ai ressenti moi-même. J'ai plutôt eu l'impression que si l'autrice prenait son temps c'était aussi pour nous permettre de mieux saisir chaque personnage, et finalement 300 pages c'est relativement court pour les exploiter correctement (un peu moins de 75 pages par personnage). Mais les personnages ne sont pas les seuls points forts de ce roman, il y a aussi l'écriture et la mythologie qui entoure
Shâhra.
L'écriture
L'écriture de
Charlotte Bousquet peut surprendre. Tantôt lisse et linéaire, tantôt poétique et dérangeante, elle ne cesse de jouer avec les registres et nous en fait voir de toutes les couleurs. La différence de temporalité (présent pour Aya Sin, passé pour les autres) peut également déranger mais elle m'est apparu à la lecture comme logique et nécessaire, Aya Sin étant le seul personnage capable de tout voir et de tout comprendre (bien que cela ne soit qu'en partie vrai).
Ce qui m'a le plus plu ce sont les quelques poèmes, vers et dyns qui composent ce roman. Haïkus, vers libres ils rythment le récit et lui donnent une touche d'onirisme, de poésie. Je n'ai pas pu m'empêcher d'y voir une similitude avec les poèmes marchombre de
Pierre Bottero dans le Pacte des Marchombres.
Les contes, magie, légende : une mythologie surprenante
Tout le long du roman on retrouve des contes, des légendes, des poèmes et des chansons qui construisent petit à petit la mythologie de
Shâhra. Si parfois ces écrits coupent le récit dans son élan, ils nous plongent également un peu plus au sein de cet univers où djinns, chamanes et monstres des sables cohabitent nous offrant un dépaysement total. On a souvent la sorcellerie, des dieux, des déesses et de la magie dans les romans de fantasy mais rarement avec un point de vue aussi orientale, chamaniques et animique. Augure, magie des os, et esprits composent une fresque étonnante, atypique et dangereuse où j'ai pris grand plaisir à m'y plonger.
Shâhra partage avec les Contes des Mille et une nuits sa douceur, sa chaleur, son exotisme, et son aspect légendaire, tel un conte antique. Mais ce ne sont pas les seules références puisqu'on y croise également Tò sumpósion (alias le Banquet) de
Platon et le fameux discours d'
Aristophane qui dit qu'avant nous étions tous androgyne. A comprendre ici dans le sens d'hermaphrodite. Charlotte a repris le terme d'androgyne dans son roman en hommage à ce texte.
Le manque à gagner
Le seul manque à gagner qu'il conviendrait de rectifier dans le second tome serait le personnage de Malik qui reste profondément absent du roman. Même si on l'aperçoit du point de vue d'Aya Sin et qu'on a le sien à travers les lettres adressées à son père, il reste globalement indistinct. Je me demande toutefois ci ce n'est pas une volonté de l'autrice que de le rendre aussi
invisible, sorte de menace ombragée qui peut fuser à tout instant.
En résumé
Derrière l'extraordinaire couverture de
Mélanie Delon se cache un roman rempli de mystères à la plume tantôt agressive, tantôt poétique qui trace le destin de quatre personnages hors du commun qu'il me tarde de retrouver. Les quelques défauts que l'on peut lui trouver comme la longueur, et les coupures dus aux mythes et légendes ne font que servir l'histoire et construisent un écrin de lecture propice aux rêveries hantées. Un premier tome que j'ai dévoré, agréablement surprise (et conquise) par son exotisme oriental et amérindien.
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