Citations sur Plateau (159)
Il en vient à considérer que tout homme est fait pour aller au-devant du mystère, que l’immobilité ne vaut rien, qu’elle ne sert qu’à assassiner les pulsions de vie.
- Tu crois qu'on est différents des gens qui sont passés avant nous ? Vraiment différents, je veux dire...qu'on a quelque chose de nouveau à raconter ?
- Je n'en sais rien, je suppose qu'on est différents sans l'être vraiment, par petites touches, et que c'est une manière d'évoluer.
- Moi, je crois qu'on a une place à tenir, et que c'est pas forcément celle qu'on attend de nous.
- Encore faut-il la trouver, cette place.
Tant de fois il a rêvé d’ailleurs, au fil des pages froissées dans de fiévreuses nuits dévalant des jours sans frissons.
- Dis-moi ce que tu penses vraiment, pour une fois?
- On serait ni meilleurs ni moins bons, si on savait ce que pensent les autres, mais on pourrait pourtant pas s'empêcher de le croire.
- Tu devrais plus souvent dire ce que tu penses, dit-elle.
- Ce que je pense ?
- Je t'entends cogiter d'ici.
- Je me suis toujours dit que c'était pas une chose à faire.
- Pourquoi ?
Georges resserre ses mâchoires pour ne pas laisser dévaler de sa bouche des mots qu'il pourrait regretter, puis reprend :
- Quand on vit les uns sur les autres à longueur d'année, ça aide à se supporter de pas tout se dire. J'imagine que ça entretient aussi l'espoir.
(p. 253)
Virgile coupe par la tourbière, passe à proximité de l'imposante bâtisse abandonnée des Ores. Toujours le même malaise qui le saisit. Une attraction le pousse à s'approcher. Façade recouverte de lierre en lianes crampons, qui s'en vont rejoindre la charpente écorchée, soulevant des ardoises mémorables, pareilles à des tables de la loi brisées et jetées à terre par de nouveaux adorateurs. Immense Léviathan accompagné dans la mort par une tribu de choucas qui tournoient entre les cheminées de briques, leurs voix en glas martelant les nuages de leurs pâles becs à l'approche de l'intrus. Carcasse renfermant les ombres du passé libérée de toute quête terrestre, glorifiée. Intime fuselage en capside protectrice des formes les plus abolies du mal.
(p 118 livre de poche)
Karl a toujours été pénétré par une foi machinale, faite de prières à un Dieu qu'il rend seulement responsable des bonnes choses qui lui arrivent. Pour le reste, il y a les hommes et leurs démons.
Là où le vent se laisse aller à parfaire les sons pour rien d'humain. Là où de peureuses sirènes viennent et repartent, leurs voix atones disparaissant dans la canopée torturée par la brise.
Il a a beau réfléchir, se concentrer, il ne se souvient pas que le bonheur ait franchi durablement le seuil de sa porte. Trop poli pour déranger, le bonheur. Un projet démesuré. Si haut que sa mémoire parvient à grimper, il y a toujours eu une tragédie pour fausser la direction.
Karl ne se rend pas à l'église pour absoudre ses péchés, ça, il y a renoncé depuis longtemps. Il y retourne pour se sentir écrasé, dépossédé de lui-même, lapidé dans le tournoiement des chants, avec la sensation d'expulser de son corps des armées d'érythrocytes en quête d'oxygène. A chacun sa manière d'en découdre avec le Seigneur.