Citations sur Plateau (159)
Dans la vie, y a ce qui nous arrive sans qu’on l’ait décidé, et, pour le reste, les hommes ont des choix à faire, sinon, tous autant qu’on est sur ce foutu Plateau, on crèverait dans le même lit. Si y en a qui s’en sortent mieux que les autres, c’est qu’ils savent attraper ce qui se présente sans faire la fine bouche. La morale et toutes ces conneries qu’on nous apprend à l’église, ça a jamais rendu les gens moins malheureux.
Il ne saurait dire d'où lui vient ce besoin de maîtriser l'ordonnancement des espaces, la rectitude de sa pensée. Ce dont il a conscience, c'est de la douleur que lui procurent les écarts lorsqu'ils surviennent, et de la souffrance supplémentaire lorsqu'il est obligé de se contenir. Une souffrance qu'il endosse, sachant ce qu'on attend de lui en certaines circonstances. Le change.
Le café du matin devint un rituel. Ils alternaient chez l'un et chez l'autre, mélangeant de mieux en mieux leurs mots et leurs silences.
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Virgile le mécréant, Karl le croyant. Pas si simple. Chacun sait d'avance qu'il ne convaincra pas l'autre, alors ils en profitent pour tenter de se convaincre eux-mêmes du bien-fondé de leurs certitudes affirmées, en haussant parfois le ton plus que nécessaire.
Ses doigts aux ongles carrelés dans une pulpe couleur d’ambre. Ses doigts qu’il ne parvient plus à déplier entièrement, qui ont tant agrippé, tant façonné de choses encore existantes et d’autres détruites depuis longtemps. Des mains qui ne se sont sûrement pas assez diverties, qui ont brouillé tant de pistes et effacé des traces. Mais tout cela est de l’histoire ancienne. Plus les mêmes mains. Plus le même cœur qui les anime.
Ce plateau, je l'ai jamais aimé, j'ai toujours fait semblant pour pas les décevoir . Tout parait beau en surface , on te parle de préservation de l'environnement à longueur de temps, à la télé, dans les journaux, ce genre de conneries , mais ici, c'est pas l'environnement qui a besoin d'être préservé. L'environnement , il a gagné depuis longtemps et c'est pas prêt de changer . Les hommes appartiennent à ce royaume et pas l'inverse. Ils ont pas la main, ici, ils sont comme des épouvantails éventrés qui font plus peur à personne . C'est ça la vérité.
Personne n'est jamais entré dans sa vie. Trop occupé à fouiller la terre. Et à présent, alors que cette femme n'est pas ici depuis un jour, elle semble avoir débloqué un rouage condamné sans qu'il soit en mesure d'évaluer les conséquences à court et encore moins à moyen terme.
Une lucidité viscérale l'a toujours préservé de toute forme de bonheur. La conscience aigüe de l'ampleur de ses tares affectives, son incapacité à se débarrasser d'une culpabilité sans identité. Une culpabilité qui le ramène immanquablement à son statut précaire d'humain passager,
le gardant de la suffisance dont il pourrait faire preuve, malgré lui, les nuits sans lune, quand le vide le prend et qu'il est tenté de le combler par une haine rassurante du monde.
Obscur coupable. Ce monde-là, exactement, serti de milliards d'yeux, qui l'observent et le jugent, non pas pour le fait d'oublier, mais pour celui d'y songer seulement.
Les humains, il les observe habituellement dans la lunette de sa carabine, de loin. Les humains, c'est un autre gibier qu'il n'est pas forcément utile de tuer. Détruire peut suffire. Humilier aussi.
Dans le ciel, les palombes ne sont plus que des poussières en quête d’invisibilité, sous un plafond mouvant de nuages aux allures de machine infernale, fabuleux pressoir de jus d’obscurité. Venues de hautes sphères incalculables, les premières détonations traversent un air épais et visqueux comme de l’huile de vidange, transpercé de fils d’or anarchiquement amidonnés. Naissance et mort d’une électrique beauté suicidaire. Le temps d’un fragment de seconde.
Elle balança ses jambes hors du lit, se leva et enfila une robe de chambre de couleur rouge. Aux yeux de l'enfant, elle ressemblait à une fleur de nénuphar à la dérive, et il ne savait pas nager.