Le seul défaut de ce livre, c'est sa classification. Utopie ou dystopie, cela n'est pas vrai. Ou disons que la menace qui plane, c'est que l'utopie devienne réalité. Brûler des livres, regarder des écrans géants toute la journée, être absorbé par l'image qui pénètre le cerveau et martèle aussi bien la conscience que l'inconscient... Dîtes-moi, ne serait-ce pas nous, ça ?
Fahrenheit 451 est un miracle de la littérature, comme on en connait peu. A la fois un roman magnifique et une oeuvre polémique qui pousse à la réflexion.
Un roman magnifique, tout d'abord. La prose de Bradbury est exceptionnelle. D'une poésie rare, elle claque les mots comme des fouets qui percutent et nous révoltent, nous fascinent, nous subjuguent. Les métaphores filent, les juxtapositions de termes en créent de nouveaux, et le tout forme un langage nouveau, brûlant, fiévreux et d'une virtuosité rare, dont la beauté est nécessaire pour servir le message.
Le message, l'oeuvre polémique, maintenant. Il n'y a pas grand chose à dire, si ce n'est que la société que peint Bradbury, c'est celle de l'anti-culture, l'anti-liberté, du refus du savoir, de la complaisance dans la soumission. La confrontation entre Montag et le capitaine Beatty est de ce point du vue la climax du roman. D'un côté, nous avons le livre, l'art, la liberté ; de l'autre, le bonheur, la culture de masse, l'autodafé. En somme, l'opposition classique des utopies/dystopies : liberté ou bonheur, art ou ordre, douleur ou contrôle, résistance ou soumission.
La fin est absolument bouleversante : la métaphore des hommes-livres, qui fuient le brasier incessant de la société qui abhorre la littérature, est somptueuse. Elle nous fait comprendre que, par delà l'économie, le droit, la politique, ce sont avant tout les mots, c'est avant tout la littérature qui donne au monde sa consistance. La liberté n'existe que parce que la littérature continue d'être. Bradbury est là pour nous le rappeler.
Sans les livres, pas de réflexion, pas de morale, pas de philosophie, pas de liberté.
Il fallait un texte magnifique pour nous le faire comprendre. C'est chose faite.
Fahrenheit 451, une oeuvre indispensable. Une mise en abîme que tout le monde devrait lire. Ne serait-ce que pour comprendre que lire
Shakespeare, lire
Flaubert, lire n'importe quel auteur, c'est apprendre à être libre.